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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/628

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de l’église ne permettraient pas de sévir contre de pareilles manifestations. Comment faire ? Un seul parti restait à prendre, dont l’étrangeté même décelait aux moins clairvoyans les secrets calculs de la cour autrichienne. N’importe, elle n’hésita point, et déclara au souverain pontife qu’il devrait faire le voyage par mer, de Venise à Pesaro. Pesaro est une petite ville dénuée de tout port, mais où les Autrichiens ne voyaient pas d’inconvénient à débarquer le saint-père, parce qu’elle n’était point comprise dans les trois légations, et faisait par conséquent partie du territoire qu’ils consentaient à lui restituer. Pie VII se soumit afin de ne pas retarder son départ. Le 6 juin, il monta sur la Bellone, frégate autrichienne mal organisée, dépourvue de toutes les commodités de la vie et manœuvrée par un équipage aussi malhabile qu’insuffisant. Quatre cardinaux et le pro-secrétaire d’état l’accompagnaient avec quelques autres prélats nécessaires à son service personnel. Le marquis Ghislieri se joignit à la petite cour du saint-père, soi-disant pour lui faire les honneurs de la Bellone, en réalité pour lui servir de geôlier, La Bellone était en si mauvais état qu’elle ne put tenir la mer. Il lui fallut, sans avoir subi aucune violente tempête, aller chercher un refuge à Porto-Fino, sur la plage opposée. Au lieu de vingt-quatre heures, temps ordinaire de la traversée de Venise à Pesaro, ce fut douze jours que le saint-père eut à passer en tête-à-tête avec l’envoyé de la cour impériale, devenu pendant le voyage plus exigeant que jamais. Débarqué à Pesaro, Pie VII se rendit à petites journées à Sinigaglia, puis à Ancône, toujours sous l’escorte du marquis Ghislieri. Là, une surprenante nouvelle les attendait tous deux : les Autrichiens avaient été battus à Marengo, un armistice était signé. Le Piémont, la Ligurie, la Lombardie, tout le pays jusqu’à l’Adige, étaient de nouveau cédés à la France. En une seule journée, la cour impériale avait perdu non-seulement tous les territoires enlevés par elle à d’autres princes pendant les revers des Français, mais une notable partie de ses propres états. La leçon était rude ; elle dut être vivement sentie par le marquis Ghislieri. Certes d’autres que l’envoyé autrichien avaient lieu de s’étonner. Jamais fait de guerre n’avait produit de pareilles conséquences ; l’Italie entière n’en pouvait revenir, et nous-même nous souvenons parfaitement d’avoir à Turin, en 1833, entendu le premier ministre du roi Charles-Albert, le vieux comte de La Tour, ancien aide-de-camp de Mélas à cette journée de Marengo, raconter qu’une chose l’avait encore plus frappé, s’il était possible, que la victoire de Marengo, c’était le parti prodigieux qu’en avait aussitôt tiré le premier consul.

Quoi qu’il en soit, on devine bien que le marquis Ghislieri n’avait plus d’objection à rendre au pape ses états. Il commença par lui