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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/638

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idée sans qu’il y ait absolument rien d’idéal dans le second. Plus d’un artiste a introduit la beauté et le pittoresque dans les conceptions allégoriques : Ingres l’a fait en France, Kaulbach le fait aujourd’hui en Allemagne. Cornélius, lui, n’y a jamais songé. Exclusivement préoccupé de la valeur du symbole comme signe, il s’inquiète peu de lui prêter des agrémens esthétiques. S’il est idéaliste comme philosophe, il ne l’est pas comme peintre. Les charmes de la composition, de la couleur et du dessin n’ont pas chez lui plus d’importance que ceux de la mélodie dans la musique de Richard Wagner. C’est un singulier artiste que celui qu’on pourrait ranger dans l’histoire de la métaphysique entre un Schelling et un Hegel. Une des dernières productions de la vieillesse de Cornélius, l’ensemble de fresques qu’il a composées pour le mausolée de la famille royale de Berlin, a été appelée par lui-même sa thèse pour le doctorat (meine Doctordissertation). Le mot mérite d’être recueilli avec soin : il nous offre le peintre admirablement peint par lui-même. Ce n’est pas autre chose en effet qu’une thèse de théologie : « la peine du péché est la mort ; mais la grâce de Dieu nous rend la vie éternelle en Jésus-Christ notre seigneur. » Telle est la proposition que Cornélius a voulu prouver et qui se divise en quatre points ; chacun de ces points se subdivise à son tour en quatre propositions principales dont chacune est traitée dans un panneau, et à chacune desquelles est subordonné un nombre considérable d’autres propositions relatives qui sont développées dans des niches ou dans les angles.

Si les critiques français se sont suffisamment occupés des allégories de Cornélius, ils ont trop négligé d’étudier les tendances de la peinture historique à Munich. C’est dans cette peinture cependant qu’on peut retrouver la première et peut-être la plus complète manifestation du réalisme en Allemagne. Du moment que l’art adopte pour principe la reproduction des événemens qu’il veut rappeler au souvenir des peuples, il ne peut atteindre son but qu’en retraçant fidèlement l’exacte réalité : telle a été la pensée des artistes bavarois, et cette manière de voir les a conduits à bannir tout idéalisme de la peinture d’histoire, comme Cornélius l’avait fait pour la peinture allégorique. La préoccupation tout utilitaire de cet enseignement monumental dont ils se croyaient chargés les a empêchés de comprendre que l’artiste doit considérer l’histoire en poète épique et non pas en archéologue, que les matériaux fournis par le passé ne peuvent satisfaire le goût qu’à la condition d’être élaborés et transformés par l’imagination. Au lieu d’user de leur droit de mêler la fiction à la vérité, ils ont mis leur gloire à faire étalage d’une érudition méticuleuse, à obtenir dans leurs personnages la ressemblance la plus rigoureuse, à étudier avec le soin le plus scrupuleux