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comme Albert Dürer, d’unir les agrémens du pittoresque à ceux de la pensée : on retrouve en effet à un très haut degré, chez ce grand artiste, l’influence des écoles du nord.

Kaulbach dessine avec la plus grande habileté ; ses lignes sont d’une précision et d’une fermeté extraordinaires. Même dans ses œuvres les plus légères, il se plaît à n’offrir que des formes élégantes et correctes. Les Fables de La Fontaine illustrées par Grandville ne peuvent, à aucun égard, soutenir la comparaison avec les dessins de Kaulbach pour le Reineke Fuchs ; il y a chez l’artiste français une fâcheuse négligence de dessin et parfois même une incorrection grossière, tandis que les compositions du peintre allemand, bien plus spirituelles au fond et d’une plus grande portée, sont, quant à la forme, des modèles accomplis. Il y avait là un double monde à reproduire : il fallait d’abord représenter les animaux comme animaux, et ensuite offrir en eux l’image de l’humanité ; Kaulbach s’est tiré avec le plus grand bonheur de cette double difficulté. Le grand peintre de Munich, dans ses satires, n’a pas le réalisme d’Hogarth. Il ne se propose pas pour but, comme l’artiste anglais, de donner une leçon de morale, et ne prend pas le crayon pour esquisser un sermon. C’est toujours au goût, non à la raison qu’il parle ; il choisit, parmi les scènes de la vie, non celles qu’il est le plus utile de représenter, mais celles qui offrent les traits les plus piquans ou les plus agréables. Chez Kaulbach, l’art n’est jamais au service d’un but qui lui soit étranger, et sa plus grande gloire, selon nous, est de lui avoir rendu son indépendance, si gravement compromise par Cornélius. Kaulbach a même produit, à certains momens de gaîté, quelques pièces qui, aux yeux de la morale, sont plus que légères, et qui forment contraste avec la pruderie ordinaire des peintres allemands ; il circule à Munich, sous le manteau, bien entendu[1], plusieurs dessins dont on excuse volontiers la licence quand on considère toute la finesse d’esprit et tout le talent plastique que l’artiste a trouvé l’occasion d’y déployer.

Il est devenu assez fréquent, à notre époque, de voir les peintres emprunter leurs sujets à la poésie, et les critiques ont plus d’une fois éprouvé quelque embarras à classer les œuvres qui étaient l’application d’un tel procédé. Faut-il les regarder comme des compositions historiques, puisqu’elles sont la reproduction d’un fait, ou bien faut-il les rapporter à la classe des œuvres de genre ? Il est nécessaire, selon nous, d’établir ici une distinction : si l’artiste, se bornant à emprunter sa matière au poète, en tire une œuvre indépendante et complète en soi, offrant une signification claire et intelligible pour ceux mêmes qui ne connaissent pas le poème, il a

  1. La Génération de la vapeur : — Qui veut acheter les dieux d’amour ? etc.