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Ces protestations sont tellement exagérées qu’on soupçonne que Marcus avait quelque intérêt secret à les faire, surtout quand on se souvient que Tiron possédait la confiance de son maître, et qu’il disposait de toutes ses libéralités. Qui sait si ces regrets et ces promesses bruyantes n’ont pas précédé et excusé quelque appel de fonds ?

Il faut dire à la décharge de Marcus qu’après avoir attristé son père par ses désordres, il a au moins consolé ses derniers momens. Quand Brutus traversa Athènes, appelant aux armes les jeunes Romains qui s’y trouvaient, Marcus sentit se ranimer en lui ses instincts de soldat. Il se souvint qu’à dix-sept ans il avait commandé avec succès un corps de cavalerie à Pharsale, et il répondit un des premiers à l’appel de Brutus. Il fut un de ses lieutenans les plus habiles, les plus dévoués, les plus courageux, et mérita souvent ses éloges. « Je suis si content, écrivait Brutus à Cicéron, de la valeur, de l’activité et de l’énergie de Marcus, qu’il me semble se rappeler toujours de quel père il a l’honneur d’être fils. » On comprend combien Cicéron devait être heureux de ce témoignage. C’est dans la joie que lui causait ce réveil de son fils qu’il écrivit et lui dédia son traité des Devoirs, qui est peut-être son plus bel ouvrage, et qui fut son dernier adieu à sa famille et à sa patrie.


IV

Cette étude sur la vie intérieure de Cicéron n’est pas complète encore, et il reste quelques détails à y ajouter. On sait que le mot familia ne désigne pas seulement chez les Romains des personnes libres unies par la parenté, mais qu’il comprend aussi les esclaves qui leur appartenaient. Le serviteur et le maître avaient alors entre eux des rapports plus étroits qu’aujourd’hui, et leur vie se mêlait davantage. Aussi, pour achever de connaître Cicéron dans sa famille, convient-il de dire quelques mots de ses relations avec ses esclaves.

En théorie, il n’avait pas sur l’esclavage des opinions différentes de celles de son temps. Comme Aristote, il en acceptait l’institution et la trouvait légitime. Tout en proclamant qu’on a des devoirs à remplir envers ses esclaves, il n’hésitait pas à admettre qu’il faut les contenir par la cruauté, lorsqu’on n’a pas d’autre moyen d’en être les maîtres ; mais dans la pratique il les traitait avec beaucoup de douceur. Il s’attachait à eux jusqu’à les pleurer, quand il avait le malheur de les perdre. Ce n’était probablement pas l’usage, car nous voyons qu’il en demandait presque pardon à son ami Atti- cus.