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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/70

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aussi, parle avec une tristesse qui nous touche des maladies et de la mort de ses esclaves. « Je n’ignore pas, dit-il, que beaucoup d’autres ne regardent ces sortes de malheurs que comme une simple perte de bien, et qu’en pensant ainsi ils se croient de grands hommes et des hommes sages. Pour moi, je ne sais s’ils sont aussi grands et aussi sages qu’ils se l’imaginent, mais je sais bien qu’ils ne sont pas des hommes. » Ces sentimens étaient ceux de toute la société distinguée de cette époque. L’esclavage avait donc beaucoup perdu de ses rigueurs vers la fin de la république romaine et dans les premiers temps de l’empire. Ce progrès, qu’on rapporte ordinairement au christianisme, était plus ancien que lui, et il faut bien en accorder la gloire à la philosophie et aux lettres.

En dehors des affranchis et des esclaves, qui faisaient partie de la famille d’un riche Romain, d’autres personnes s’y rattachaient encore, quoique d’une façon moins étroite : c’étaient les cliens. Sans doute l’antique institution de la clientèle avait beaucoup perdu de son caractère grave et sacré. Le temps n’était plus où Caton disait que les cliens doivent passer dans la maison avant les parens et les proches, et que le titre de patron vient immédiatement après celui de père. Ces liens s’étaient fort relâchés[1], et les obligations qu’ils imposaient étaient devenues bien moins sévères. La seule à peu près qu’on respectât encore était la nécessité pour les cliens de venir saluer leur patron de grand matin. Quintus, dans la lettre si curieuse qu’il adresse à son frère à propos de sa candidature au consulat, les divise en trois classes : d’abord ceux qui se contentent de la visite du matin ; ce sont en général des amis tièdes ou des observateurs curieux qui viennent savoir des nouvelles, ou qui même visitent quelquefois tous les candidats pour se donner le plaisir de voir sur leurs figures où ils en sont de leurs espérances ; — puis ceux qui accompagnent leur patron au forum et lui font cortège, pendant qu’il fait deux ou trois tours dans la basilique, afin que tout le monde s’aperçoive que c’est un homme d’importance qui arrive ; — enfin ceux qui ne le quittent pas pendant tout le temps qu’il est hors de chez lui, et qui le ramènent à sa maison, comme ils sont allés l’y prendre. Ceux-là sont les fidèles et les dévoués, qui ne marchandent pas le temps qu’ils vous donnent, et dont le zèle à toute épreuve fait obtenir à un candidat les dignités qu’il souhaite.

Quand on avait le bonheur d’appartenir à une grande maison, on possédait par héritage une clientèle toute formée. Un Claudius

  1. Cependant Virgile, toujours fidèle aux anciennes traditions, place dans le Tartare le patron qui a trompé son client à côté du fils qui a frappé son père.