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tout entier, piles et arches, en gros blocs de basalte appareillés sans ciment. Un mot de Tacite nous montre que ce pont existait déjà en l’an 70 de notre ère, et qu’il reliait alors la ville à de grands faubourgs situés sur la rive gauche. Il avait duré pendant plus de seize siècles ; il a fallu pour le ruiner employer ces puissans moyens de destruction dont disposent les ingénieurs modernes. Les Français l’ont fait sauter en 1689 ; il n’en resta que les piles, encore deux de ces piles furent-elles entièrement détruites. Celles-ci furent refaites, ainsi que toutes les arches, par l’électeur Charles-Louis, vers 1720, mais on n’a pas pris de basalte, « pour éviter, dit un historien de Trèves, la forte dépense de la taille, qui revient à cinq ou six louis par pièce, et du transport, les carrières étant à une distance de vingt lieues à peu près. » Les Romains, on le voit, regardaient moins à la dépense ; il semble qu’ils aient toujours voulu construire pour l’éternité. Les deux piles modernes sont faites de pierre calcaire bleue, beaucoup moins dure que le basalte, et taillée en plus petits moellons. Peut-être même ces vieilles assises romaines verront-elles encore s’écrouler, sous l’effort d’une crue de printemps, toute cette maçonnerie d’hier ; peut-être, appuyées sur leurs profonds et indestructibles fondemens, se défendant par leur poids, survivront-elles à plus d’une réparation moderne.

Un autre monument, qui paraît, d’après de récentes recherches, appartenir aussi à cette même époque, au premier siècle de l’occupation romaine, c’est la plus célèbre et la plus imposante de toutes les ruines de Trèves, l’édifice que l’on trouve désigné dans les documens du moyen âge sous les noms de Porte de Siméon, Porte de Mars, et surtout Porte-Noire (Porta-Nigra). On a beaucoup discuté, on discute encore sur l’âge et la destination de cet édifice. La vanité des archéologues trévirois avait commencé par y chercher un ouvrage celtique ou étrusque, rêveries qui ne méritent pas l’honneur d’une réfutation. Dans des travaux postérieurs et qui méritent plus d’attention, on a attribué cette construction tantôt à Constantin, tantôt à Gratien ; d’autres même sont descendus jusqu’à la domination franque. Quelques archéologues ont voulu voir un palais ou une basilique là où la tradition populaire reconnaissait une des portes principales de la cité antique. Une curieuse et savante étude, présentée dernièrement à l’Académie de Berlin par un des premiers épigraphistes de l’Allemagne, M. Hübner, vient, sinon de lever toutes les difficultés, au moins de trancher, pour beaucoup d’esprits non prévenus, la question principale.

Il est difficile, sans le secours de la gravure, de faire comprendre, à qui ne l’a point vu, la disposition et le plan d’un édifice quelconque. Disons pourtant que la Porte-Noire (c’est là le nom le plus généralement employé) est une construction rectangulaire, dont