Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/723

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la fraîche verdure des gazons et des broussailles qui poussent parmi les décombres, des grands noyers dont la tête ne parvient pas à atteindre le faîte de ces murs croulans.

Un édifice qui ne prête point aux mêmes incertitudes, c’est l’ancien amphithéâtre, situé à cinq cents pas des thermes, à l’entrée de l’Olewigthal. Comme celui de Cyzique, en Asie-Mineure, cet édifice a été en grande partie taillé dans le tuf d’une colline, et les architectes ont ainsi abrégé singulièrement la durée du travail et probablement diminué les frais. Les gradins ont complètement disparu ; pendant le moyen âge, l’amphithéâtre servait de carrière. Un diplôme d’un archevêque de Trèves fait don de ces ruines, en 1211, à l’abbaye de Himmerode, qui avait des bâtimens à élever, « attendu, dit cette charte, qu’il ne peut résulter aucun avantage public de ces vieilles masures, restées inutiles depuis tant de siècles. » Il ne subsiste aujourd’hui que l’arène avec son dallage et la rigole qui règne tout à l’entour, le podium, fait de pierre de taille de petite dimension, soigneusement appareillée avec du ciment, l’entrée de quelques caveaux s’ouvrant dans le mur du podium, enfin les deux grandes allées qui avaient été creusées dans la colline pour que, du nord et du sud, chars, chevaux, bêtes féroces et gens pussent entrer de plain-pied dans l’arène. Comme le Colisée, l’amphithéâtre de Trèves a servi de forteresse ; ainsi l’on sait que lors de l’invasion des Vandales, en 407, la plus grande partie de la population de Trèves se réfugia dans l’amphithéâtre et s’y retrancha. En 1764, il servit au contraire à l’ennemi qui attaquait la ville. Les Français s’y établirent et s’y fortifièrent, pour de là bombarder Trèves.

C’est à cet amphithéâtre que se rattachent les derniers souvenirs de la Trèves romaine ; dans le cours du Ve siècle, c’est sur ces gradins, qui pouvaient contenir environ soixante mille personnes, que les habitans de la malheureuse Trèves venaient se presser entre deux catastrophes, pour chercher dans les fiévreuses émotions de ces cruels spectacles quelques heures d’insouciance et d’oubli. Quand les barbares s’étaient retirés, rassasiés de pillage et de meurtres, emportant leur butin, emmenant leurs prisonniers, quand fumaient encore les décombres des édifices livrés aux flammes et que dans chaque famille il y avait quelque place vide, ce qu’imploraient à grands cris les survivans, ce n’était point qu’on arrachât aux barbares leurs victimes, ni que l’on mît les murs de la cité en état de résister à une nouvelle attaque, c’était que l’on se hâtât de réparer le cirque et d’y mêler le sang des hommes à celui des ours et des panthères. C’est cette passion, c’est ce délire qui inspire à Salvien, un prêtre de Cologne qui a étudié et vécu à Trèves,