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de sa propre patrie, et, vieux encore, il décernait au peuple danois « la plus belle des palmes qu’ait jamais portées dans ses mains l’Immortalité ! »

C’est qu’à une époque où le goût français dominait tyranniquement et exclusivement dans les châteaux et les résidences des pays d’outre-Rhin, la cour de Copenhague, cette cour des Christian et des Frédéric, était la seule à cultiver les lettres allemandes, à honorer les talens de la Germanie, et, pour rappeler une autre expression encore du barde de Quedlinburg, « à faire signe au mérite silencieux et lointain. » Elle recueillait Klopstock errant et lui assurait une existence exempte de soucis ; elle attirait les Cramer, les Schlegel, les Sturz, les OEder, les Kratzenstein, tant d’autres écrivains et artistes d’au-delà de l’Eider, et les retenait par ses munificences. Les graves professeurs de Gœttingue portaient alors aux nues les Danos dona ferentes ; le grand Michaëlis prodiguait les éloges aux Mécènes Scandinaves, et c’est aussi le chargé d’affaires du Danemark près l’empereur d’Allemagne, Niessen, qui protégea la veuve et adopta les enfans du sublime compositeur de Don Juan, mort dans la misère, et à qui la ville impériale de Vienne n’avait su accorder d’autre tombe que la fosse commune de ses pauvres ! La tradition de ces libéralités s’est maintenue en partie jusque dans notre siècle : le poète dramatique le plus renommé de l’Allemagne contemporaine, Hebbel (le même qui plus tard, au fameux couronnement de Kœnigsberg, devait saluer Guillaume Ier de Prusse comme un « libérateur »), avait longtemps joui d’une pension que lui faisait le roi Christian VIII, et il n’est pas jusqu’au hargneux professeur Dahlmann qui n’ait rempli, à son heure quelque fonction lucrative à Copenhague ; ce père terrible du slesvig-holsteinisme avait même commencé par écrire dans cette langue danoise vouée depuis à tant de malédictions. Du reste, le gouvernement danois a bien autrement encore mérité, dans, ce XIXe siècle, du monde savant de la Germanie au moment des plus douloureuses épreuves, alors que le célèbre mémoire du conseiller russe Stourdza dénonçait, devant les souverains réunis au congrès d’Aix-la-Chapelle, les hautes écoles d’outre-Rhin comme les antres redoutables de l’esprit révolutionnaire, alors que le Bund instituait des commissions inquisitoriales contre les « menées démagogiques » de la jeunesse universitaire, et que la persécution était à l’ordre du jour contre les professeurs patriotes et les candides affiliés de la Burschenschaft. À cette époque si pleine de calamités pour les docentes et studiosi de la docte et studieuse Allemagne, seule l’alma mater de Kiel offrait asile et sécurité à la pensée fière et généreuse. Là, maîtres et élèves avaient libre carrière, là seulement ils étaient à l’abri des décrets de Carlsbad