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touchant le caractère et la moralité de la « guerre de délivrance » sur l’Eider, et qu’elle agit dans ces occurrences avec une louable fermeté. L’Angleterre s’entendit alors avec la Russie et la France pour préserver le Danemark de l’agression germanique et maintenir dans son intégrité une ancienne et glorieuse monarchie. Peu porté déjà par ses principes et ses intérêts à favoriser cette Allemagne unitaire « dont la première pensée a été une pensée d’extension injuste, le premier cri un cri de guerre[1], » le tsar Nicolas sut également mettre de côté toute sensibilité intempestive pour son bien-aimé beau-frère le roi Frédéric-Guillaume IV, et il fut le plus ardent à provoquer le concert européen qui finit par arracher aux Prussiens la proie tant convoitée. Disons-le toutefois, la diplomatie se montra beaucoup moins résolue et surtout beaucoup moins prévoyante alors qu’après avoir fait cesser la guerre elle se mit à jeter les fondemens de la paix future ; dans ce moment décisif, elle ne sut point remédier à des inconvéniens pourtant bien sensibles, ni même porter la main sur le siège véritable du mal. Le mal, il était évidemment dans la position des rois de Danemark vis-à-vis du Bund comme suzerains du Holstein, et surtout dans l’équivoque qu’on avait laissé s’établir au sujet du Slesvig, formant d’un côté « partie intégrante de la monarchie danoise » et gardant de l’autre une « autonomie » qui le rapprochait du Holstein. À cette confusion déjà si nuisible en elle-même, l’Allemagne ajoutait encore la confusion qui lui était propre, — l’embarras de sa constitution fédérale, la multiplicité de ses arrangemens territoriaux, le mécanisme compliqué de ses souverainetés particulières et de sa diète unitaire, — et parvenait ainsi à envelopper le litige dans un réseau vraiment inextricable. Ce vice de son organisme qu’elle ne cessait de déplorer, cet état mal défini de ses relations extérieures qui faisait l’éternel sujet de ses plaintes, la Germanie le mettait précisément à profit dans ses démêlés avec le Danemark pour échapper à toute obligation ; elle semblait vouloir prouver à cette occasion la fameuse identité de l’être et du non-être que lui avaient enseignée ses grands philosophes, et, sommée de s’expliquer ou de répondre, elle posait toujours la question préalable de maître Jacques. Était-ce au cocher qu’on voulait parler ? Elle prenait alors la casquette du roi de Prusse. Était-ce au cuisinier ? Dans ce cas, elle mettait le bonnet de son Bundestag, et cocher et cuisinier ne se trouvaient jamais d’accord, ni présens sur les mêmes lieux pour les mêmes stipulations… C’est ainsi qu’un jour (1er juillet 1848) une suspension

  1. Expressions de la célèbre circulaire russe du 6 juillet 1846, adressée par le comte Nesselrode à ses agens en Allemagne.