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dans le procès de Gabinius, et il parvint au moins à lui conserver l’honneur et la liberté.

Il manque un trait à cette peinture. Cicéron nous dit, dans son discours, que Rabirius était médiocrement savant. Il avait tant fait de choses en sa vie qu’il n’avait pas eu le temps de songer à s’instruire ; mais ce n’était pas l’ordinaire : on sait que beaucoup de ses collègues, malgré leurs occupations peu littéraires, n’en étaient pas moins des gens spirituels et lettrés. Cicéron, en recommandant à Sulpitius un négociant de Thespies, ajoutait : « Il a du goût pour nos études. » Il regardait Curius de Patras comme un de ceux qui avaient le mieux conservé le tour de l’ancienne plaisanterie romaine. « Hâtez-vous de revenir à Rome, lui écrivait-il, de peur que la graine de l’urbanité ne se perde. » C’étaient des gens d’esprit aussi, des hommes du meilleur monde que ces chevaliers qui se réunissaient en compagnies puissantes et prenaient à ferme les impôts publics. Cicéron, qui était sorti de leurs rangs, avait des relations presque avec tous ; mais il semble qu’il était particulièrement lié avec la compagnie qui avait la ferme des pâturages de l’Asie, et il dit qu’elle s’était mise sous sa protection.

Cette protection s’étendait aussi sur des gens qui n’étaient pas Romains de naissance. Les étrangers, on le comprend, regardaient comme un grand honneur et une grande sûreté pour eux d’être en rapport de quelque manière avec un personnage illustre de Rome. Ils ne pouvaient pas être ses cliens, ils souhaitaient de devenir ses hôtes. En un temps où il y avait si peu d’hôtelleries convenables dans les pays qu’on traversait, il fallait bien, quand on voulait voyager, se pourvoir d’amis complaisans qui consentissent à vous recevoir. En Italie, les gens riches achetaient de petites maisons où ils passaient la nuit sur toutes les routes qu’ils avaient coutume de parcourir ; mais ailleurs on voyageait d’un hôte à l’autre. C’était souvent une lourde charge que d’héberger ainsi un riche Romain. Il avait toujours avec lui un grand équipage. Cicéron nous dit qu’il avait rencontré dans le fond de l’Asie P. Vedius « avec deux chariots, une voiture, une litière, des chevaux, de nombreux esclaves, et de plus un singe sur un petit char et une quantité d’ânes sauvages. » Vedius n’était qu’un Romain assez obscur. Qu’on juge de la suite que traînaient après eux un proconsul, un préteur, quand ils allaient prendre possession de leur province ! Cependant, quoique leur passage épuisât la maison qui les recevait, on briguait cet honneur ruineux, parce qu’on trouvait mille avantages à s’assurer leur appui. Cicéron avait des hôtes dans toutes les grandes villes de la Grèce et de l’Asie, et c’étaient presque toujours les premiers citoyens. Des rois eux-mêmes, comme Dejotarus et Ariobarzane,