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jésuite en chercha une dans la direction méthodique et mécanique de l’imagination. C’est là son coup de génie : il a découvert dans la nature humaine une couche inconnue et profonde qui sert de support à toutes les autres, et qui, une fois inclinée, communique son inclinaison au reste, en sorte que dorénavant tout roule sur la pente ainsi pratiquée. Notre fond intime n’est pas la raison ni le raisonnement, mais les images. Les figures simples des choses, une fois transportées dans notre cerveau, s’y ordonnent, s’y répètent, s’y enfoncent avec des affinités et des adhérences involontaires ; quand ensuite nous agissons, c’est dans le sens et par l’impulsion des forces ainsi produites, et notre volonté sort tout entière, comme une végétation visible, des semences invisibles que la fermentation intérieure a fait germer sans notre concours. Quiconque est maître de la cave obscure où l’opération s’accomplit est maître de l’homme ; il n’a qu’à semer les graines, à gouverner la pousse souterraine : la plante adulte sera ce qu’il lui plaira. Il faut lire leurs Exercitia spiritualia pour savoir comment, sans poésie, sans philosophie, sans aucun emploi des forces nobles de la religion, on peut s’emparer de l’homme. Ils ont une recette pour rendre les gens dévots et l’appliquent dans leurs retraites ; l’effet est certain.

« Le premier point, disent ces savans psychologues[1], est de construire le lieu en imagination, c’est-à-dire de se figurer qu’on voit les synagogues, les fermes, les villes que le Christ parcourait dans ses prédications… Il faut se représenter, par une sorte de vision de l’imagination, un endroit corporel, par exemple un temple ou une montagne sur laquelle nous trouvons Jésus-Christ ou la vierge Marie et les autres choses qui ont rapport à la méditation… Le second point est d’entendre par l’ouïe intérieure ce que disent tous les personnages, par exemple les personnes divines conversant ensemble dans le ciel sur le rachat du genre humain, ou bien la Vierge et l’ange dans une petite chambre traitant ensemble du mystère de l’incarnation… Si notre méditation a pour fond une chose incorporelle, comme par exemple la considération des péchés, on pourra construire le lieu en telle sorte que par l’imagination nous voyions notre âme enchaînée comme dans une prison dans ce corps corruptible, et l’homme lui-même exilé dans cette vallée de larmes parmi les bêtes brutes. » De même, pour bien sentir la condition du chrétien, il est à propos de se figurer deux armées, le Christ avec les saints et les anges dans un vaste champ près de Jérusalem, et Lucifer, « chef des impies, dans un autre champ près de Babylone, assis sur un siège plein de feu et de fumée, horrible d’aspect

  1. Édition 1644, p. 62, 96, 120, 106, 80, 104.