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d’opéra toutes fraîches : — un énorme palais massif étayé sur ses bossages, — une rue en pente qui s’abaisse et se redresse jusqu’à un obélisque lointain, et qui, frappée en travers par le soleil, enveloppe ses personnages, comme ferait un tableau, dans une alternative d’ombre et de lumière ; — un ancien palais démantelé, dont on a fait un magasin, où des dragons rouges dorment contre un mur grisâtre, où fleurissent des amandiers blancs à côté d’un pin-parasol debout sur un tertre vert ; — une place où ruisselle une large fontaine, des églises à gauche pompeuses et parées comme d’opulentes mariées, souriantes dans la splendeur de l’azur, en face une promenade jetée en travers, et dont les arbres commencent à verdir ; — à la fin une interminable rue solitaire, entre les hauts murs de quelque couvent, de quelque villa invisible ; sur les crêtes, des fleurs pendantes, çà et là des armoiries lézardées par l’invasion des giroflées et des mousses, toute la rue tranchée en deux par l’ombre noire et la lumière éblouissante ; — au loin dans l’air transparent une porte monumentale : c’est Porta-Pia ; de là on voit la campagne grise, et à l’horizon la neige sur les arêtes des montagnes.

En revenant, nous avons suivi cette rue, qui monte et descend, bordée de palais et de vieilles haies d’épines, jusqu’à Sainte-Marie-Majeure. Sur une large éminence, la basilique, surmontée de ses deux dômes, s’élève noblement, à la fois simple et complète, et lorsqu’on est entré, le plaisir devient plus vif encore. Elle est du Ve siècle, et lorsqu’on l’a refaite plus tard, on a gardé le plan général, toute l’idée antique. Une ample nef à voûte horizontale s’ouvre soutenue par deux rangées de blanches colonnes ioniennes. On est tout réjoui de ce grand effet obtenu par des moyens si simples ; on se croirait presque dans un temple grec : ces colonnes ont été dérobées, dit-on, à un temple de Junon. Chacune d’elles, nue et polie, sans autre ornement que les délicates courbures de son petit chapiteau, est d’une beauté saine et charmante. On sent là tout le bon sens et tout l’agrément de la vraie construction naturelle, la file de troncs d’arbres qui portent des poutres posées à plat et qui font promenoir. Tout ce qu’on a bâti depuis est barbare, et d’abord les deux chapelles de Sixte-Quint et de Paul V, avec leurs peintures du Guide, du Joseppin, de Cigoli, avec leurs sculptures du Bernin et leur architecture de Fontana et de Flaminio. Voilà des noms célèbres, et l’on a prodigué l’argent ; mais tandis qu’avec de petits moyens l’antique fait un grand effet, le moderne fait un petit effet avec de grands moyens. Quand on s’est rempli et ébloui les yeux par les pompeuses rondeurs de ces voûtes et de ces dômes, par les splendeurs de ces marbres multicolores, de ces frises et de ces piédestaux d’agate, de ces colonnes