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se reconnaissent à leurs bonnets pointus en drap bleu, sur lesquels un œil est figuré ; les carabiniers se distinguent par leurs têtes demi-rasées qui les désignent comme esclaves du palais ; les ahanjito (bardes ou poètes) agitent leurs chasse-mouches, faits d’une queue de cheval emmanchée dans un os de mort. L’artillerie ferme la marche avec les agbàryà (soldats du train), robustes gaillards sur les épaules desquels un pierrier de bord, une lourde espingole, ne sont pas de trop. N’oublions pas, en guise d’étendard, huit crânes humains placés dans des corbeilles de bois à l’extrémité de longues perches.

Les manœuvres et les évolutions se succèdent, jusqu’au moment où le cortège se forme pour se rendre au palais. La canne du roi, confiée à trois eunuques, précède les trois voyageurs et leur suite. Le reste marche en ordre rigoureux, les plus jeunes prenant le pas sur les anciens. Un consistoire de prêtres-fétiches, une congrégation de saintes femmes décemment vêtues, couronnées de fleurs et portant des colliers de cauries, attendent la procession sur l’Akohera (marché de l’est) pour se diriger vers la demeure royale. Cette demeure, — elles sont toutes construites sur un plan à peu près identique, — se compose d’un vaste enclos aux murailles duquel s’appuient des hangars longs de cent pieds, soutenus par une charpente à claire-voie. Chaque porte (il y en a huit ou dix) est gardée par un capitaine assis dans son fauteuil et par des soldats accroupis sur le sol. Pas une amazone encore ne s’est montrée, pas une de ces guerrières que le Dahomey seul met en ligne à l’heure présente. Une consigne rigoureuse retient ces royales épouses dans les cours intérieures. Pendant que le roi se fait attendre, le capitaine passe en revue l’un après l’autre les grands fonctionnaires de l’état. Les offices civils et les grades militaires se confondent ici par la raison très simple que la nation entière est une armée. Ainsi l’aile droite, la première des deux divisions (mâles), est commandée par le mingan, qui dispose, après le monarque, de l’autorité civile ou politique, et se trouve, comme chef de la police, l’organe du peuple vis-à-vis du souverain. Il cumule avec ces belles attributions le rôle de menwu-to (tueur d’hommes), c’est-à-dire d’exécuteur des hautes-œuvres ; mais les condamnés d’élite ont seuls le privilège de périr par ses mains. Une autre particularité curieuse de cette hiérarchie sauvage est le dédoublement de tous les emplois. Chaque titulaire, ordinairement chargé d’années, a pour suppléant au besoin, dans tous les cas pour espion, un acolyte plus jeune et plus actif entre les mains de qui se concentre souvent le pouvoir réel, bien que son collègue à cheveux blancs paraisse investi d’une influence plus haute et d’une responsabilité plus directe. Le mingan