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bizarres, revêtue ici des plus vives couleurs, et là des teintes les plus sombres, suivant que sa surface est exposée aux ardeurs torrides du soleil, ou qu’elle plonge dans les ravins obscurs et profonds. Nulle trace de végétation ; quelques maigres troupeaux broutent seulement çà et là, au bord de précipices vertigineux, une mousse rougeâtre pénétrée de saveurs salines. Ce district est désigné sous le nom de Kakovouni (la mauvaise montagne) ou Kakovouli (la terre du mauvais conseil), sinistres appellations que justifient la nature des lieux et les mœurs féroces, les instincts de brigandage des redoutables tribus disséminées sur ces roches incultes. Si l’on remonte vers le nord, la contrée s’élargit et la nature s’adoucit un peu. Le caroubier, le myrte, le laurier-rose commencent à se montrer au fond des ravins, dans le lit desséché des torrens ; plus loin, des bois d’oliviers et de chênes verts reposent le regard fatigué de l’aspect tourmenté du paysage ; enfin, sur les confins de la Messénie, au pied des contre-forts du Taygète, croît une végétation plus abondante et plus variée. Le mûrier apparaît dans les plaines, sur le penchant pierreux des coteaux, quelques alpes verdoyantes naissent au-dessous des cimes accidentées ; mais l’âpreté générale du paysage persiste toujours, et d’étroits défilés, des murailles perpendiculaires, de profonds précipices isolent le sévère pays de Maïna du reste du Péloponèse.

Les Maïnotes occupent une place importante dans les annales de la Grèce moderne. Cette importance tient à l’incontestable antiquité de leur race, aux caractères particuliers qui les distinguent des autres Grecs, à leur indépendance de tout temps reconnue, aux combats sans trêve qu’ils ont livrés pour la conserver jusqu’au jour où ils prirent une part glorieuse à la lutte nationale sous des chefs restés célèbres. Les Maïnotes se regardent comme les descendans directs des Spartiates. Il n’en est pas un, du plus fier au plus humble, qui ne prétende remonter par une filiation directe aux enfans de Lycurgue et de Léonidas. Leur contester cette origine équivaudrait à une mortelle injure qu’il ne serait peut-être pas prudent de leur adresser en face. Une tradition constante dans le pays, avouée de tous les Grecs, confirmée par mille indices, un idiome composé de mots et de tournures antiques, le témoignage enfin des voyageurs qui ont tenté de résoudre les difficiles problèmes de l’ethnographie, justifient en grande partie ces hautes prétentions. Il est certain que, fuyant le déluge de barbares, Slaves, Bulgares, Albanais, qui envahirent la Morée pendant la dernière période de l’empire grec, les habitans de Sparte abandonnèrent leurs foyers et se retirèrent au sein des cavernes et des rochers du Magne. Ils y rencontrèrent, établis là depuis longtemps, d’autres transfuges, les