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les traces de cette conspiration au moment de mon passage, car depuis quelques jours personne n’avait été admis à entrer dans l’enceinte palissadée.


III

Si vive et si intelligente que soit dans les cités de l’ouest l’impulsion donnée aux travaux d’art, à l’industrie, au commerce, à l’éducation publique, ce qu’on y trouve encore de plus intéressant, c’est le peuple. On se fatigue de voir des écoles, des églises, des monumens, des usines, des banques, on ne se lasse point d’étudier les hommes. Dans notre vieille Europe, l’histoire, les institutions politiques, les traditions, ont créé une sorte de hiérarchie sociale qui asservit l’individu autant qu’elle le protège : ce qui est un appui est en même temps une barrière. Toutes les tâches sont divisées, toutes les places prises. La force individuelle multiplie son action en se concentrant sur des objets constans et définis : l’artiste, le savant, le musicien, l’industriel, doivent viser à la perfection. La haute culture enveloppe les intelligences d’élite comme d’une toile subtile, composée de doutes, de réserves, de dédains, à travers laquelle l’enthousiasme et la joie ont peine à passer : on est plus tenté de rester témoin que de devenir acteur. Dans quelques villes même des états de l’Atlantique dont l’histoire est déjà ancienne, l’esprit de famille, l’esprit de coterie, l’esprit provincial, sont déjà aussi intolérans que dans les pays européens, et la chaîne des traditions, si elle n’est aussi longue, y est aussi tenace, Dans l’ouest vit un peuple sans traditions, un peuple nouveau, naïf, créateur, encore enfant, bien que la civilisation ait mis entre ses mains toutes les armes de la maturité. Tout lui semble facile, tout lui paraît beau. Il est joyeux et impatient ; un enthousiasme chronique l’enivre. Aussi son langage est-il empreint d’une perpétuelle exagération. Quel nom l’Illinois a-t-il donné à son homme d’état favori, Douglas ? Il l’a appelé le petit géant de l’ouest. Je ne pouvais m’empêcher de sourire quand j’entendais dire à tout instant d’un personnage médiocre et inconnu hors de sa ville ou de son comté : He is a splendid man (c’est un homme splendide). C’est la formule de l’ouest ; le talent y prend trop vite les proportions du génie, la médiocrité celles du talent. L’éloquence politique dédaigne les artifices, l’ironie froide, les déductions sévères de la logique, et se contente trop souvent de l’invective, des bruyantes déclamations, des plaisanteries grossières ; les journaux ont le ton violent du pamphlet. Les seules doctrines religieuses qui réussissent à remuer profondément les consciences sont les doctrines calvinistes. Par leur effrayante logique, leur brutale simplicité, elles ébranlent des âmes qui resteraient