Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelque importance, — l’invention d’un nouveau tambour, la visite d’un blanc, la translation d’un palais à un autre, — soit annoncé à l’esprit du prince défunt par quelque messager mâle ou femelle, on ne peut guère évaluer à moins de cinq cents, année moyenne, à moins de mille quand reviennent les « grandes coutumes, » ces exécutions périodiques. Elles ne sont point particulières au Dahomey. Abbeokuta, le Grand-Benin, Ashanti, obéissent aux mêmes traditions. À Komasi, on immole chaque jour un homme (sauf le mercredi, anniversaire de la naissance du roi) ; de plus la mort de tout caboceer entraîne celle de plusieurs subalternes, tandis que dans le Dahomey, depuis les premiers temps du règne de Gezo, pareil honneur est exclusivement réservé au min-gan et au meu, les deux plus grands personnages de l’état ; encore chacun d’eux n’est-il « escorté » que d’un seul esclave.

Moyennant ces explications préliminaires, on comprendra mieux ce qui allait se passer dans les derniers jours de 1863 et les premiers de 1864 à la cour du roi Gelele. Le 28 décembre au matin, une décharge de mousqueterie annonça l’ouverture des rites, et les hôtes du monarque reçurent l’invitation formelle de se rendre au palais. En traversant la place du marché, ils purent voir, sous une espèce de halle flanquée d’une tourelle à double étage, une vingtaine de malheureux, solidement garrottés à des poteaux, et portant le costume des criminels d’état, un bonnet de nuit blanc autour duquel des rubans bleus s’enroulent en spirale, une chemise de calicot bordée de rouge et décorée, à l’endroit du cœur, d’une marque sanglante. Ils étaient l’objet de soins attentifs. Un esclave accroupi derrière chacun d’eux écartait les mouches importunes. Abondamment nourris, traités avec douceur, se berçant peut-être de quelque vague espérance, aucun ne semblait songer à une évasion que les circonstances rendaient assez facile. La musique du cortège avait captivé leurs oreilles ; ils battaient du pied la mesure et saluèrent de commentaires bavards le passage des étrangers. Arrivés au palais, ceux-ci accompagnèrent le roi vers la demeure de son fétiche ; ils défilèrent entre deux rangs d’amazones devant un second hangar où dix-neuf autres victimes, de tout point semblables à celles du marché, attendaient leur sort avec la même insouciance. Pas un des assistans ne s’avisait de prendre garde à elles. Les danses, les chants allaient leur train, et la foule tumultueuse n’avait ni la moindre pitié, ni la moindre curiosité au service de ces pauvres êtres.

Plus de deux mille cinq cents personnes étaient réunies devant le palais lorsque Gelele, entouré de ses caboceers et de ses amazones, prononça ce qu’on pourrait appeler le discours d’inauguration. Il parlait avec timidité, la tête penchée, revenant à satiété