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qui la composent. Qui sait alors si, dans l’avenir, après de nouveaux et heureux essais de cette organisation, les diverses populations d’origine kabyle semées çà et là en pays arabe ne pourront pas utilement la recevoir à leur tour, s’assimiler à nous par le même système, et devenir ainsi pour notre domination comme autant de sentinelles dévouées, autant d’instrumens de civilisation ?

Est-ce à dire que la France doive hardiment emprunter au Djurdjura des détachemens kabyles que nous installerions à titre de colons au sein du pays arabe ? Mais, pour former une colonie prospère, il faut des ressources et une expérience qu’on ne trouve que chez les cultivateurs aisés de la Kabylie, et ceux-là ne diraient pas adieu à leur montagne sous prétexte de courir après une terre promise incertaine ; nous n’aurions donc à choisir que parmi les plus misérables, dont bientôt il adviendrait sans doute de qui est advenu de nos colons de 1848, que l’administration a été forcée de nourrir. Tenté du reste en 1854, un essai de ce genre est déjà demeuré infructueux : 1,500 hectares des environs de Bordj-Bouïra furent offerts aux montagnards ; jamais ils n’ont consenti à y venir labourer. C’est qu’aucune population n’aime davantage son territoire ; elle en aime le climat tempéré, elle en aime les fontaines, qui ne tarissent pas : qu’on veuille brusquement la conduire ailleurs, et elle croira qu’on veut l’expatrier. Laissons de côté ce rêve impossible, et considérons un rôle plus simple que les Kabyles du Djurdjura peuvent jouer dans la colonisation. De magnifiques vallées, sur les bords de l’Issèr, du Sebaou, de l’Oued-Boghni, de l’Oued-Sahel, sillonnent la Grande-Kabylie et offrent un champ fécond où l’agriculture n’a qu’à se développer librement ; jadis les Turcs en occupèrent les points les plus accessibles, et leur occupation militaire donna dès lors à diverses parties de ces vallées un caractère domanial que notre conquête a conservé. Le sénatus-consulte du 22 avril 1863, qui sur tout le territoire algérien se propose de confirmer justement la propriété à ceux qui présenteront des titres valables, pourra bien rencontrer des difficultés d’application et amener de sérieuses contestations en pays arabe ; il n’en soulèvera aucune en pays kabyle : là tous les propriétaires ont des titres, sinon écrits, au moins de notoriété publique, situation vraiment heureuse qui dans une question ailleurs délicate et obscure ne laisse planer aucun nuage sur l’avenir du Djurdjura ! Eh bien ! après le règlement définitif ordonné par le sénatus-consulte, toute terre disponible, toute vallée domaniale deviendra-t-elle le lot naturel de la colonisation européenne ? A notre gré, ce serait une faute. Qu’on y songe, nous avons sous la main une population kabyle trop serrée, qui possède tous les moyens de travail qu’exige la culture, et à qui la propriété de ces terres qu’elle a cultivées de tout temps revient de droit parce qu’elle