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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/988

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assister à ces scènes incroyables qui se passent au sénat, lorsqu’il, attaque Clodius, tantôt par des discours suivis, tantôt dans des interpellations fougueuses, employant tour à tour contre lui les plus grosses armes de la rhétorique et les traits les plus légers de la raillerie. Il est plus vif encore quand il décrit les assemblées populaires et raconte les scandales des élections. « Suivez-moi au Champ-de-Mars, dit-il, la brigue est en feu ; sequere me in Campum, ardet ambitus. » Et il nous montre les candidats aux prises, la bourse à la main, ou les juges qui sur le Forum se vendent honteusement à qui les paie, judices quos fames magis quam fama commovit. Comme il a l’habitude de céder à ses impressions et de changer avec elles, le ton n’est plus le même d’une lettre à l’autre. Il n’y a rien de plus abattu que celles qu’il écrit de l’exil. Le lendemain de son retour, sa phrase devient, sans transition, majestueuse et triomphante. Au milieu des situations les plus graves, il sourit et plaisante avec un ami qui l’égaie, il ne brave pas les dangers, il les oublie ; mais qu’il rencontre alors quelque personnage effrayé, il a bientôt gagné son épouvante : aussitôt son style change, il s’anime, il s’échauffe ; la tristesse, l’effroi, l’émotion, l’élèvent sans effort à la plus haute éloquence. Quand César menace Rome et qu’il pose insolemment ses dernières conditions au sénat, le cœur de Cicéron se soulève, et il trouve, en écrivant à une seule personne, de ces figures véhémentes qui ne seraient pas déplacées dans un discours adressé au peuple. « Quel destin est le nôtre ? Il faudra donc céder à ses demandes impudentes ! C’est ainsi que Pompée les appelle. Et en effet a-t-on jamais vu une plus impudente audace ? — Vous occupez depuis dix ans une province que le sénat ne vous a pas donnée, mais que vous avez prise vous-même par la brigue et la violence. Le terme est venu que votre caprice seul, et non pas la loi, avait fixé à votre pouvoir. — Supposons que ce soit la loi. — Le temps arrivé, nous vous nommons un successeur ; mais vous vous y opposez et nous dites : « Respectez mes droits ! » Et vous, que faites-vous des nôtres ? Quel prétexte avez-vous à garder plus longtemps votre armée malgré le sénat, malgré le peuple ? — Il faut me céder ou vous, battre. — Eh bien ! battons-nous, répond Pompée ; nous avons au moins l’espérance de vaincre ou de mourir libres. »

Cette agréable variété, ces brusques changemens de ton, se retrouvent dans les lettres de Mme de Sévigné. Comme Cicéron, Mme de Sévigné a l’imagination très vive et très mobile. Elle se livre sans réfléchir à ses premières émotions ; elle se laisse prendre aux choses, et le plaisir qu’elle goûte lui semble toujours le plus grand de tous. On a remarqué qu’elle se plaisait partout, non par cette indolence d’esprit qui fait qu’on s’attache aux lieux où l’on se trouve pour