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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/990

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ressemble-t-elle pas aux vieilles passions ? « Que ne leur fait-on pas ? On leur dit des injures, des rudesses, des cruautés, des mépris, des querelles, des plaintes, des rages, et toujours elles remuent. On ne saurait en voir la fin. On croit que quand on leur arrache le cœur, c’en est fait, et qu’on n’en entendra plus parler. Pas du tout ; elles sont toujours en vie, elles remuent toujours. » Cette facilité qu’elle a d’être émue, qui lui fait adopter si vite les sentimens des gens qu’elle fréquente, lui fait sentir aussi le contrecoup des grands événemens auxquels elle assiste ; le style de ses lettres s’élève quand elle les raconte, et, comme Cicéron, elle devient éloquente, sans y songer. Quelque admiration que me causent la grandeur des pensées et la vivacité des tours dans ce beau morceau de Cicéron sur César que je citais tout à l’heure, je suis encore plus touché, je l’avoue, de la lettre de Mme de Sévigné sur la mort de Louvois, et je trouve plus de hardiesse et d’éclat dans ce dialogue terrible qu’elle établit entre le ministre qui demande grâce et Dieu qui refuse.

Ce sont là d’admirables qualités, mais elles amènent aussi quelques inconvéniens avec elles. Les impressions si rapides sont quelquefois un peu légères. Quand on se laisse emporter par une imagination trop vive, on ne se donne pas le temps de réfléchir avant de parler, et l’on s’expose à changer souvent d’opinion. C’est ainsi que Mme de Sévigné s’est plus d’une fois contredite. Seulement, comme elle n’est qu’une femme du monde, ses contradictions ont peu de gravité, et nous ne songeons pas à lui en faire un crime. Que nous importe en effet qu’elle ait varié dans ses jugemens sur Fléchier et sur Mascaron, qu’après avoir admiré sans réserve la Princesse de Clèves, quand elle la lit toute seule, elle s’empresse d’y trouver mille défauts dès que son cousin Bussy la condamne ? Mais Cicéron est un homme politique, et il est tenu d’être plus grave. On exige surtout de lui qu’il ait de la suite dans ses opinions ; or c’est précisément ce que la vivacité de son imagination lui permet le moins. Il ne s’est jamais piqué d’être fidèle à lui-même. Quand il apprécie les événemens ou les hommes, il lui arrive de passer sans scrupule en quelques jours d’un extrême à l’autre. Dans, une lettre de la fin d’octobre, Caton est traité d’excellent ami (amicissimus), et on se déclare très satisfait de la façon dont il s’est conduit. Au commencement de novembre, on l’accuse d’avoir été honteusement malveillant dans la même affaire. C’est que Cicéron ne juge guère que par ses impressions, et dans une âme mobile comme la sienne les impressions se succèdent rapidement, aussi vives, mais très différentes.

Un autre danger, plus grand encore, de cette intempérance d’imagination qui ne sait pas se gouverner, c’est qu’elle peut donner de