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paraissent avoir été les qualités qui distinguèrent tout d’abord le jeune auditeur de rote. Dans cette cour moitié cléricale, moitié laïque, où tant de voies sont ouvertes qui peuvent servir à faire plus rapidement son chemin, Consalvi mettait une sorte de point d’honneur à ne s’écarter en nulle circonstance, et si peu que ce fût, des règles qui forment le code particulier de l’honnêteté mondaine. Des conseils qu’il avait reçus du pieux cardinal Negrini, l’un des amis de sa famille, il avait principalement retenu celui-ci : « il ne faut jamais rien demander, ne jamais faire sa cour pour avancer, mais s’arranger de manière à franchir tous les obstacles par l’accomplissement le plus ponctuel de ses devoirs et par une bonne réputation. » En matière d’argent, sa délicatesse allait jusqu’à l’ombrage : c’était le seul excès qu’il se passât. Désigné par le cardinal d’York pour être son exécuteur fiduciaire, Consalvi ne consentit à recevoir de lui cette preuve de confiance qu’après avoir fait effacer du testament les clauses qui lui étaient profitables. On le vit toujours refuser obstinément les petits cadeaux et les menus bénéfices qui sont en Italie l’apanage accoutumé des gens en place. Cet homme si près regardant pour lui-même était d’ailleurs à l’égard des autres de la plus facile humeur, doux, accueillant et d’une bonne grâce recherchée dans le commerce de la vie. Loin de lui l’idée d’afficher aucune sauvage austérité : il ne songe pas à se défendre d’un goût extrême pour les voyages. Les honnêtes distractions n’ont rien qui l’effraie. Les arts parlent fortement à son imagination ; mais la conversation des femmes aimables lui semble particulièrement attrayante. A Rome, rien de moins extraordinaire pour un prélat. Pourquoi s’en cacherait-il ? On devine que le désir de ne point déplaire à celles qui sont l’élite de leur sexe n’a pas été étranger à sa jeunesse ; leur gracieux souvenir occupe encore son âge mûr : plusieurs sont nommées par lui dans ses mémoires. C’est sans aucun embarras qu’il nous parle de sa tendre affection pour une jeune princesse Ruspoli, morte à l’âge de dix-huit ans. « Elle était un miroir de toutes les vertus, et non moins agréable que sage. Sans doute le Seigneur, s’écrie-t-il avec tristesse vingt-neuf ans après cette perte douloureusement sentie, sans doute le Seigneur a voulu éprouver par un si grand chagrin la sensibilité trop ardente de mon cœur. » Dans toute cette première portion de sa vie, qui s’écoule calme, parfaitement réglée, presque heureuse, jusqu’à la veille des grands événemens qui vont bouleverser d’abord l’Italie et bientôt après la capitale du monde catholique, Consalvi nous apparaît comme un type fin et charmant de ce que dans-cette ancienne société près de disparaître on appelait jadis « un parfait galant homme. »