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sa rigueur la règle étroite qu’il s’était imposée de n’accepter aucun présent. Avec quel empressement les Romains, toujours prompts à se ménager la faveur des puissans, n’auraient-ils pas offert de riches cadeaux à l’heureux privilégié qu’ils voyaient dans un même jour décoré de la pourpre et promu au premier poste de l’état ? « Je ne puis me dissimuler, dit Consalvi, ce que j’aurais amassé dans cette circonstance, si je l’avais voulu ; » mais sa réputation lui était plus chère que la richesse ; il était avide surtout de bonne renommée. Un simple anneau donné par un ami fut le seul présent qu’il consentit à recevoir.

Ce crayon de la vie de Consalvi suffit, nous l’espérons, à faire à peu près connaître celui que le saint-père venait, avec un instinct des plus sagaces, non-seulement de placer à la tête de son gouvernement, mais d’associer par sa confiance absolue à l’intime direction de son difficile pontificat. Hâtons-nous d’ajouter que, par un heureux hasard, Pie VII et son ministre se complétaient merveilleusement l’un l’autre. L’ancien évêque d’Imola, auteur de la curieuse homélie, si tolérante et presque philosophique, dont nous avons parlé au début de cette étude, franchement rallié, après le traité de Campo-Formio, au gouvernement de la république cispadane, se recommandait de lui-même, et par tous ses antécédens, à la faveur de cette portion du public italien que n’effarouchait pas trop l’invasion au-delà des Alpes des idées modernes. Le désavantage du pieux et doux pontife était d’avoir, avant son exaltation, trop vécu en simple bénédictin dans son cloître et dans son diocèse, de n’avoir guère fréquenté le monde et de connaître médiocrement les hommes. Plus aimable que ferme, possédé d’une immense envie de bien faire et de l’incessant besoin de plaire, enclin par nature à supposer chez les autres tous les généreux sentimens dont il était animé lui-même, Pie VII était à la fois capable de se créer d’étranges illusions et de se troubler amèrement quand il en découvrait le néant. Bien différent était son secrétaire d’état. Par ses antécédens comme par le fond même de ses opinions, Consalvi appartenait au parti qui, en Italie comme ailleurs, avait résisté tant qu’il avait pu aux tendances révolutionnaires de cette époque. Son patron le cardinal-duc d’York l’avait introduit dans l’intime société de mesdames tantes du roi Louis XVI, lorsque ces pieuses fugitives étaient venues chercher un asile à Rome. Il avait été pour elles non-seulement un guide agréable au milieu des curiosités de la ville éternelle, mais un conseiller très écouté et très utile. Cette relation en avait amena d’autres avec Louis XVIII et les hommes de l’émigration française. Toutes ces liaisons de société avant même que, par sa place de président des armes, il ne fût entré dans le vif