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ne l’épouvantait autant, disait expressément M. Cacault, que le caractère de cet homme qui ne se laissait jamais persuader. Il avait fait, pour son compte, d’inutiles efforts. L’aimable et persuasif ami de Pie VII pourrait seul opérer un pareil miracle. La conduite de l’empereur d’Autriche devait d’ailleurs éclairer la cour de Rome. Il n’avait pas hésité à envoyer son premier ministre, le comte de Cobentzel, conférer directement avec le premier consul. Quant à lui Cacault, il le connaissait assez pour répondre que rien ne devait tant chatouiller son orgueil que de montrer aux Parisiens un cardinal et le premier ministre de sa sainteté. « Après tout, ne craignez rien, continuait-il en insistant plus vivement auprès du pape ; n’est-ce pas l’homme qui m’a dit de vous traiter comme si vous commandiez à deux cent mille soldats ? Apparemment il s’en voit le double autour de lui, car il ne parle plus, j’en conviens, sur le pied de l’égalité ; mais, s’il se donne cet avantage, une noble confiance vous le rendra. Privez-vous de Consalvi quelques mois, il vous reviendra plus habile. » Et comme Pie VII hésitait encore : « Très saint-père, reprenait M. Cacault, il faut que Consalvi parte à l’instant, et qu’il porte votre réponse. Il manœuvrera à Paris avec la puissance que vous lui donnerez d’ici. J’ai cinquante-neuf ans, j’ai vu bien des affaires depuis les états de Bretagne, qui étaient bien les états les plus difficiles à gouverner. Croyez-moi, quelque chose de plus fort que la froide raison, un instinct me conseille, un de ces instincts de bête, si l’on veut, mais qui ne trompent jamais. Et puis quel inconvénient ? On vous accuse. Vous paraissez en quelque sorte vous-même. Qu’est-ce ? qu’a-t-on dit ? On veut un concordat religieux ; nous venons au-devant, nous l’apportons : le voilà ! »

Attendri jusqu’à verser des larmes, Pie VII se décida en effet à laisser son secrétaire d’état partir pour Paris. Ce ne fut pas sans trouble que Consalvi quitta Rome. Monté, comme il était convenu, dans la voiture de M. Cacault, il prenait plaisir à le nommer lui-même aux populations étonnées. « Tenez, disait-il le plus souvent aux groupes qui se formaient sur la route autour des maisons de poste, tenez, voici M. le ministre de Fiance qui voyage avec moi. » A Florence, il voulut s’arrêter pour voir Murat. Cette redoutable armée d’Italie, aperçue à l’horizon comme un nuage menaçant, empêchait à Rome tous les cardinaux de dormir. Consalvi, reçu avec toute sorte d’affection empressée par le commandant en chef, eut la satisfaction de pouvoir assurer sa cour que le général Murat n’avait reçu de Paris aucun ordre à exécuter pour le moment. C’était un soulagement. Il ne pouvait toutefois songer sans une grande crainte à la prochaine entrevue qu’il allait avoir avec celui que, dans