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ficile d’imaginer qu’une personne arrivée à Paris la nuit précédente, sans être avertie, sans rien savoir des usages, des coutumes et des dispositions de ceux devant lesquels elle paraissait, et qui était regardée en quelque sorte comme responsable du mauvais résultat des négociations poursuivies jusqu’alors, dut, à la vue d’un tel appareil aussi imposant qu’imprévu, ressentir, non-seulement une émotion profonde, mais aussi un trop visible embarras. » Ignorant absolument cette circonstance de la revue des troupes, Consalvi ne pouvait manquer d’imaginer que toute cette multitude qui emplissait le vestibule et l’escalier était accourue pour assister par curiosité à son entrevue avec le premier consul. Le tapage assourdissant des tambours battant aux champs sur les plus hautes marches de l’escalier, ces antichambres qu’il lui fallait traverser toutes remplies de personnages richement empanachés, comme c’était la mode au temps du consulat, ces salons splendides où son guide l’introduisit parmi les grands dignitaires de l’état, tous faciles à reconnaître par leurs somptueux costumes, tant de bruit, tant d’éclat, au lieu et place de la conversation en tête-à-tête à laquelle il s’était attendu, tout cela pénétrait le pauvre Consalvi d’une confusion toujours croissante.

A l’extrémité d’une dernière galerie, un nouveau personnage s’approcha de lui, le salua sans dire mot, et, tout en boitant légèrement, le conduisit jusqu’à une pièce voisine. C’était M. de Talleyrand. Consalvi reprit un instant courage, espérant qu’il allait enfin être introduit dans le cabinet de Bonaparte ; mais quel ne fut pas son désappointement lorsque, la porte s’ouvrant, il aperçut en face de lui, dans un vaste salon, une multitude de graves figures disposées comme pour un coup de théâtre ! En avant se tenaient, détachées et isolées, trois personnes qui n’étaient autres que les trois consuls de la république. Celui du milieu fit quelques pas vers Consalvi, qui avait déjà pressenti le premier consul, conjecture bientôt confirmée à ses yeux par l’attitude de M. de Talleyrand. A peine le ministre des affaires extérieures, toujours à ses côtés, avait-il terminé la cérémonie de la présentation, que, sans vouloir écouter les complimens d’usage, Bonaparte prit incontinent la parole, et d’un ton bref : « Je sais, dit-il à Consalvi, le motif de votre voyage en France. Je veux que l’on ouvre immédiatement les conférences. Je vous laisse cinq jours de temps, et je vous préviens que si, à l’expiration du cinquième jour, les négociations ne sont pas terminées, vous devrez retourner à Rome, attendu que, quant à moi, j’ai pris mon parti pour une telle hypothèse ! »

Ces paroles, les premières que Consalvi ait entendues de la bouche du premier consul, avaient été dites d’un air qui n’avait