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tions qu’il s’est données à lui-même dans la première partie de sa carrière, et sous ce rapport c’est certainement une des crises les plus instructives du moment présent.

Chose remarquable en effet, lorsque le cabinet du général Narvaez s’est formé il y a sept mois, il est entré au pouvoir porté en quelque sorte par un courant de libéralisme et de conciliation, et cette idée d’une politique largement tolérante, il l’avouait ostensiblement. Il levait les amendes qui pesaient sur la presse, il élargissait le cercle des discussions publiques, il laissait une certaine liberté électorale ; il écrivait enfin ces circulaires qui ont eu la bonne fortune de retentir jusque dans les débats de notre adresse. Les difficultés de toute sorte, extérieures et intérieures, dont le ministère recevait le lourd héritage, n’étaient point résolues par cela même ; mais ce simple mot de libéralisme dit d’un certain accent suffisait pour donner au nouveau cabinet une aisance qu’il n’aurait point eue sans cela. C’est ce qui lui permettait d’aborder, non sans courage, certaines questions au moins épineuses, de proposer, au risqué de froisser l’amour-propre national, l’abandon de Saint-Domingue, de mettre à nu les navrantes détresses du trésor espagnol. Jamais la paix intérieure n’avait paru plus complète, et le ministère en faisait justement honneur à son système. Laissez s’écouler quelques mois : l’incertitude a recommencé, un véritable malaise envahit tout, et le sang coule dans les rues de Madrid. Que s’est-il donc passé dans l’intervalle ? Il y a eu simplement ceci, que la politique des premiers jours a dévié, que l’antagonisme qui existait au sein de ce gouvernement entre les instincts d’un libéralisme rajeuni et les traditions d’immobilité s’est dénoué à l’avantage de ces dernières, et que le ministère a versé encore une fois dans cette ornière de routine et de réaction où vont se perdre les pouvoirs qui vivent d’expédiens. Voilà justement le contraste entre les deux systèmes, — l’un détendant une situation, produisant une paix momentanée, l’autre ramenant à sa suite la confusion et la lutte. Nous ne disons pas, bien entendu, que cette politique des premiers temps, appliquée avec une ferme et persévérante résolution, eût échappé à toutes les crises et qu’elle n’eût ses difficultés ; ce qui est certain, c’est que l’expérience qui a été faite valait la peine d’être continuée, c’est que dans tous les cas il n’aurait pu arriver pire que ce qui est arrivé, et que le ministère espagnol, en se laissant détourner, s’est engagé dans une voie où il ne peut plus guère ni avancer ni reculer.

Il y a, il est vrai, à Madrid un ministre, M. Gonzalez Bravo, qui est un esprit fertile en ressources et qui vous prouvera que tout est pour le mieux, que rien n’est changé dans le ministère. Effectivement le général Narvaez est toujours président du conseil, et M. Gonzalez Bravo est toujours ministre de l’intérieur. Seulement il s’est trouvé que, par une série de mouvemens dont la situation actuelle révèle le sens, il s’est opéré un déplacement complet. Cette évolution a commencé de se laisser entrevoir, il y a quel-