Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/287

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jadis il avait quelques ménagemens, il s’arrêtait à mi-chemin dans l’injustice ; aujourd’hui, appuyé sur une garnison de dix-huit mille hommes, il ne craint plus les mécontens. Aussi personne ne doute que le jour où les Français partiront ne soit le dernier jour de la souveraineté papale.

Je tâche de me faire marquer nettement la limite et l’étendue de cette oppression. Elle n’est pas violente, atroce, comme celle des rois de Naples ; au sud, l’ancienne tyrannie espagnole avait laissé des habitudes de cruauté : il n’en est point de même à Rome. On n’y prend pas un homme tout d’un coup pour le mettre au fond d’une basse fosse, lui jeter tous les matins un seau d’eau glacée sur le corps, le torturer et l’hébêter ; mais s’il est libéral et mal noté, la police fait une descente chez lui, saisit ses papiers, fouille ses meubles et l’emmène. Au bout de cinq ou six jours, une sorte de juge d’instruction l’interroge ; d’autres interrogatoires suivent, les écritures font une liasse qui, après beaucoup de longueurs, est mise aux mains des juges proprement dits. Ceux-ci l’étudient non moins longuement ; l’un est resté trois mois prisonnier sur prévention, l’autre six mois. Le procès s’ouvre ; il est censé public, mais ne l’est pas : le public reste à la porte, on admet trois ou quatre spectateurs, gens connus, éprouvés, et qui entrent avec des billets. — D’autre part, la police profite des accidens. Il y a quinze jours, à sept heures du soir, à deux pas du Corso, on a assassiné deux personnes dans leur voiture, et on leur a volé 10,000 piastres ; la police n’a pas trouvé les coupables, et se sert de cette occasion pour mettre provisoirement quelques libéraux sous les verrous. — Tout le monde a entendu parler de ce procès récent dont le comité romain déroba les pièces. Le principal témoin à charge était une fille publique : elle a dénoncé non-seulement les gens qui venaient chez elle, mais d’autres qui ne l’avaient jamais vue. Un jeune homme qu’on me cite y fut impliqué, arrêté de nuit, jugé secrètement, condamné à cinq ans de prison ; il a juré à son frère, dans un entretien intime, qu’il était innocent. — Les lois sont passables, mais l’arbitraire les corrompt et pénètre dans les peines comme dans les grâces ; aussi personne ne compte sur la justice, ne consent à être témoin, ne répugne aux coups de couteau, ne se croit à l’abri d’une dénonciation, n’est sûr de dormir le lendemain dans son lit et dans sa chambre.

Pour l’argent, on n’a point à craindre les confiscations ; mais elles sont remplacées par les tracasseries. Le marquis A… possède une grande terre près d’Orvieto ; ce sont ses ancêtres qui ont fondé le village. Les gens de l’endroit, avec l’autorisation du monsignor spécial, décrètent une taxe sur les biens-fonds, c’est le marquis A… qui la paie. Avec l’autorisation du même monsignor, ils lui font un procès