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que j’aie jamais écoutée : on n’imagine pas avant de les connaître tant de douceur et de mélancolie, d’étrangeté et de sublimité. Trois points sont saillans. — Les dissonances sont prodiguées, quelquefois jusqu’à produire ce que notre oreille, habituée aux sensations agréables, appelle aujourd’hui de fausses notes. — Les parties sont extraordinairement multipliées, en sorte que le même accord peut renfermer trois ou quatre consonnances et deux ou trois dissonances, se démembrer et se recomposer par portions et incessamment ; à chaque instant, une voix se détache par un thème propre, et le faisceau semble s’éparpiller si bien que l’harmonie totale semble un effet du hasard, comme le sourd et flottant concert des bruits de la campagne. — le ton continu est celui d’une oraison extatique et plaintive qui persévère ou reprend sans jamais se lasser, en dehors de tout chant symétrique et de tout rhythme vulgaire : aspiration infatigable du cœur gémissant, qui ne peut et ne veut se reposer qu’en Dieu, élancemens toujours renouvelés des âmes captives toujours rabattues par leur poids natal vers la terre, soupirs prolongés d’une infinité de malheureux tendres et aimans qui ne se découragent pas d’adorer et d’implorer.

Le spectacle est aussi admirable pour les yeux que pour les oreilles. Les cierges s’éteignent un à un, le vestibule noircit, les grandes figures des fresques se meuvent obscurément dans l’ombre. On fait vingt pas, et tout d’un coup l’on a devant soi la chapelle Pauline, flamboyante comme un paradis angélique de gloire, de lumières et de parfums. Les étages de cierges montent sur l’autel comme sur une châsse ; les lustres descendent, ouvrant leurs arabesques dorées, leurs panaches d’étincelles, leurs rosaces de splendeurs, leurs aigrettes diamantées, comme les oiseaux mystiques de Dante. Des écailles de nacre hérissent le sanctuaire de leurs blancheurs chatoyantes ; les colonnes tordent leurs spirales d’azur parmi les corps charmans des anges, sous les vapeurs enroulées de l’encens qui fume ; une senteur enivrante emplit l’air. C’est Bernin qui a disposé cette délicieuse fête, ces éblouissemens, cette féerie ; sa sainte Thérèse pâmée de l’église Della Vittoria l’entrevoit en esprit, et c’est ici qu’elle devrait être.

Cependant, dans Saint-Pierre, entre deux haies de soldats, on voit défiler le cortège qui va célébrer le lavement des pieds : d’abord des monsignori à la physionomie spirituelle, des cardinaux violets, la calotte rouge à la main, suivis de leurs acolytes, des chanoines habillés de rouge vif, enfin les douze apôtres vêtus de bleu, coiffés d’un singulier chapeau blanc, un bouquet à la main. Ailleurs, dans un hôpital, les dames romaines, en costumes rouges de religieuses, font le même office. On reçoit là trois ou quatre cents paysannes venues pour la fête ; les plus grandes dames, des princesses, les