Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/316

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le cortège solennel : d’abord les gardes nobles, rouges et blancs, le casque en tête ; puis des chanoines rouges, puis des prélats violets, puis les maîtres de cérémonies en pourpoint et manteau noir, ensuite les cardinaux, enfin le souverain pontife, porté par les acolytes dans un fauteuil de velours rouge broche d’or, lui-même en long habit blanc brodé d’or et portant sur la tête la tiare d’or à triple étage. Des éventails de plumes de paon flottent autour de lui. Il a l’air bon, affectueux ; sa belle figure pâle est celle d’un malade ; l’on pense avec regret qu’il doit souffrir en ce moment, que sa jambe est enveloppée de bandes. Il donne doucement la bénédiction avec un doux sourire.

Les chantres et les soldats causaient gaîment un instant avant son passage ; un moment après, une trompette dans l’abside ayant entonné un air d’opéra, deux ou trois soldats se sont mis à fredonner à l’unisson ; mais les gens du peuple, les paysans qui étaient là regardaient comme s’ils voyaient Dieu le père. Il faut contempler leurs figures surtout devant la statue de saint Pierre. Ils affluent tour à tour en s’étouffant pour baiser le pied de bronze, qui maintenant est tout usé ; ils le caressent, ils y collent leur front ; beaucoup d’entre eux pour venir ont fait à pied dix ou douze milles, et ne savent pas où ils dormiront. Quelques-uns, alourdis, par le changement d’air, dorment debout contre un pilier, et leurs femmes les poussent du coude. Plusieurs ont une tête de statue romaine, le front bas, les traits anguleux, l’air sombre et dur ; d’autres, le visage régulier, l’ample barbe, le beau coloris chaud, les cheveux naturellement frisés des peintures de la renaissance. On n’imagine pas une race plus forte et plus inculte. Leurs costumes sont étranges : vieilles casaques en peaux de bique ou de mouton, guêtres de cuir, manteaux bleuâtres cent fois trempés par la pluie, sandales de peau comme aux temps primitifs ; de tout cela sort une odeur insupportable. Leurs yeux sont fixes, éclatans comme ceux d’un animal ; plus éclatans encore et comme ensauvagés luisent ceux des femmes jaunies et minées par la fièvre. Ils arrivent ici poussés par une crainte vague pareille à celle des anciens Latins, pour ne point déplaire à une puissance inconnue, dangereuse, qui peut à volonté leur envoyer la maladie ou la grêle, et ils baisent l’orteil de la statue avec le sérieux d’un Asiatique qui apporte le tribut au pacha.

Le bourdonnement de la messe roule demi-perdu dans le lointain, et les grandes formes enveloppées dans l’encens accompagnent de leur noblesse et de leur gravité sa mystérieuse harmonie. Quel puissant seigneur et quelle splendide idole pour ces paysans que le maître de cette église ! Pensez, pour comprendre leur impression devant ces magnificences, ces dorures et ces marbres, à