successeurs : par la profondeur de sa science et la hardiesse de sa pensée, il était devenu l’âme de l’école alexandrine. Didyme l’admirait, sans le suivre dans les hypothèses aventureuses où s’était égaré son génie, et, tout en repoussant certaines erreurs sur lesquelles l’église avait prononcé et se gardant des autres, il l’aimait, il le proclamait son maître ou plutôt son oracle. Tel était Didyme, et ce fanatisme d’école ne le fit jamais dévier de la vraie foi ; le courage avec lequel il défendit la cause de la consubstantialité dans les disputes de l’arianisme lui valut toute l’affection d’Athanase. Les évêques les plus éminens de la Syrie et de l’Asie-Mineure venaient se faire écoliers pour l’entendre, tant sa parole avait d’élévation et de charme, et les moines d’Égypte accouraient du fond de leurs solitudes seulement pour apercevoir ses traits. On raconte que le grand Antoine (on le qualifiait ainsi) étant venu le visiter du fond de son désert, voisin de la Mer-Rouge, Didyme l’entretint avec intérêt, car Antoine joignait un esprit droit et un cœur généreux à une foi inébranlable. Et comme il lui arriva pendant leur entretien de gémir sur sa cécité, le moine l’interrompit : « O Didyme, s’écria-t-il dans un élan d’enthousiasme, ne parle pas ainsi ! Ne te plains pas du lot que le ciel t’a fait ! Si Dieu t’a refusé les yeux du corps, qui sont communs à tous les hommes et même aux animaux les plus immondes, aux serpens, aux lézards, aux mouches, il t’a donné les yeux des anges pour le contempler face à face. »
On devine l’empressement de Jérôme à converser avec le savant aveugle. Il courut chez Didyme dès son arrivée et le revit ensuite presque tous les jours, car l’Égyptien et le Dalmate se prirent d’un goût mutuel l’un pour l’autre. Paula accompagnait son ami à ces conférences, où toutes les sciences de ce temps étaient passées en revue pour venir appuyer la vérité évangélique, et elle ne tarissait pas d’admiration. Ainsi jadis son ancêtre Scipion écoutait Lélius lui révélant les arts de la Grèce. Jérôme nous dit que si par hasard il oubliait l’heure de la visite, elle était la première à la lui rappeler, « n’osant pas, ajoute-t-il, se rendre seule chez Didyme de peur d’encourir le blâme de présomption ou d’importunité. » Un mois s’écoula dans ces confidences du savoir et de la piété. Jérôme en rapporta plusieurs traités devenus rares même en Orient, et l’érudit docteur voulut bien composer pour lui, et à sa demande, des commentaires sur les prophéties de Michée, d’Osée et de Zacharie. Bien des années après, Jérôme au comble de la gloire proclamait heureux entre tous les jours de sa vie ceux qu’il avait passés dans ces doux entretiens. Le nom de Didyme resta sacré pour lui, lors même qu’il se mit à combattre avec passion l’origénisme en la personne de Rufin. Il disait avec une grâce charmante de son ami d’Alexandrie, qu’il lui plaisait d’appeler son maître : « Cet aveugle