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de si puissans ennemis, sans assistance quelconque. Et quand les pauvres habitans d’ici voudraient toutefois s’opiniâtrer ainsi qu’ils ont fait jusqu’à maintenant, et comme j’espère qu’ils feront encore, il en coûtera aux Espagnols la moitié de l’Espagne, tant en biens qu’en hommes, devant qu’ils aient la fin de nous. »

Ce moment est peut-être le plus dramatique et le plus décisif, puisque c’est le moment où pâlit la fortune d’une domination qui se croyait invincible, où « la fleur de l’armée espagnole est chutée, selon le mot du prince d’Orange, sans avoir pu conquérir la moindre province de ce pays sur ceux qu’ils appelaient par moquerie de pauvres gueux. » Je n’ai point à raconter cette histoire, qui se déroule à travers les batailles, au milieu d’incessantes alternatives, et qui, dans ses grandes lignes, va des premiers actes politiques de l’insurrection à la pacification de Gand, de la pacification de Gand à l’union d’Utrecht, pour aboutir à la déclaration d’indépendance, tandis que la domination espagnole s’affaiblit par degrés en se débattant, en paraissant se relever quelquefois, pour rester définitivement sous le poids de sa défaite. La dictature du duc d’Albe apparaît entre deux de ces vice-royautés princières dont la politique se sert parfois, avant ou après les répressions sanglantes, soit pour accoutumer les peuples à la servitude qu’on leur prépare, soit pour paraître alléger le fardeau sans rien céder. Marguerite de Parme avait précédé l’homme de l’attaque à main armée, de la destruction organisée : don Juan d’Autriche le suivit ; mais il n’était plus temps.

Les événemens marchent avec une invincible logique. La tragédie sanglante se noue et s’enchevêtre à travers toute sorte d’incidens qui se succèdent ; elle laisse voir du moins deux choses dans un éclair réjouissant pour la conscience humaine, — ce qui attend ces systèmes de répression à outrance, de destruction impitoyable, ce qu’ils promettent à ceux-là mêmes qui s’en font une arme, et ce que peut aussi un peuple qui unit la foi obstinée à l’héroïsme. Lorsque Philippe II montait au trône, il y arrivait dans l’éclat d’une puissance exceptionnelle. Roi d’Espagne, il avait l’Italie, il avait les Pays-Bas ; il avait la main dans les affaires de France, il menaçait ou remuait l’Angleterre, il étendait son ascendant en Allemagne. Il avait trouvé dans son opulent héritage les richesses du Nouveau-Monde, l’esprit guerrier des vieux soldats espagnols, l’éclat des arts italiens, l’industrie flamande. L’Espagne était la première monarchie de l’Europe. Quarante ans de règne sont passés, le fanatisme de domination a porté ses fruits : l’Espagne a perdu les Pays-Bas, ou du moins sept provinces sont indépendantes, et les autres ne sont plus qu’une possession précaire ; une flotte anglaise est allée brûler et piller Cadix ; la France a échappé à l’influence de l’Es-