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La foi dans l’Union, tel a été le trait dominant de la politique de M. Lincoln. Tout s’explique sans difficulté dans sa conduite, quand on cherche sous la confusion des événemens, des actes et des paroles, cette trame forte et serrée. Du premier coup d’œil, il comprit le caractère de la guerre ; il connaissait bien ses ennemis et les savait redoutables : on ne trouve pas dans son langage un mot qui prouve qu’il se fît jamais illusion sur les difficultés de sa tâche. Il les pressentait déjà quand il prit congé de ses voisins et amis de Springfield en ces termes touchans, où il me semble qu’on le trouve déjà tout entier, tel qu’il dut plus tard se révéler à son pays : « Personne ne peut comprendre la tristesse que j’éprouve au moment de cet adieu. C’est à ce peuple que je dois tout ce que je suis. Ici j’ai vécu plus d’un quart de siècle ; ici mes enfans sont nés, et l’un y est enterré. Je ne sais pas si je vous reverrai jamais. Un devoir m’est imposé, plus grand peut-être que celui qui a été imposé à aucun citoyen depuis les jours de Washington. Washington n’eût jamais réussi sans le secours de la divine Providence, en laquelle il eut toujours foi. Je sens que je ne puis réussir sans la même assistance, et c’est de Dieu que, moi aussi, j’attends mon appui. Encore une fois, je vous dis adieu. » Ce n’est point par fierté que d’avance il choisit sa place historique à côté de Washington : il n’y a dans son langage que douceur, modestie, bonté ; mais il comprend les dangers du présent, et déjà l’avenir se révèle à cet esprit doué de la clairvoyance propre aux âmes pures et désintéressées. C’est avec ces pensées qu’il quitta le pays qu’il aimait tant, et qu’il ne devait jamais revoir. Qu’on se rappelle les circonstances au milieu desquelles il recueillit le pouvoir des mains débiles de son prédécesseur. Washington et le Capitole même remplis de traîtres, le trésor vide, point de marine, point d’armée, quelques officiers, tous amis personnels des rebelles, les chambres profondément divisées, l’opinion publique presque aussi vivement soulevée contre les abolitionistes que contre les sécessionistes et les confondant dans ses colères irréfléchies, une disposition tacite ou avouée à éviter toute lutte immédiate ou directe avec l’esclavage, dans la pensée de ramener, s’il était possible, ceux que l’on considérait encore comme des frères égarés, le sentiment national s’abritant sous cette formule « the Union as it was (l’Union telle qu’elle était), » mais disposée en réalité, dans son aveugle ferveur, à rendre au sud bien plus que ses anciens privilèges, — voilà ce que M. Lincoln trouva autour de lui. Dans le flux des opinions, des passions, des projets contraires, il n’aperçut qu’un point immobile, et il s’y fixa. Tout devait changer, mais une chose devait rester debout, l’Union. La grande sagacité de M. Lincoln pénétra vite ce qu’il y avait dans les sentimens du peuple américain de faux, d’artificiel, de