Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/533

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

M. SYLVESTRE

A MON AMI EVGKNE FROMENTIN.

LETTHE I""^. — A PHILIPPE TAVERNAV, A VOLVIC (Pt Y-DE-DÔ ME). Paris, 2 février 64.

Oui, mon Philippe, c’est vrai : je suis ruiné. Mon oncle, l’homme aux trente mille livres de rente, me donne sa malédiction en des termes qui ne me permettent plus d’accepter la pension qu’il daignait me faire et l’avenir qu’il se promettait de m’assurer. Quels sont donc ces termes ? me diras-tu. Dispense-moi de te les répéter. Le cher oncle n’est pas léger, tu le connais ; sa colère procède à coups de massue. Ancien maître de forges, il a gardé quelque chose de l’énergie brutale de ces marteaux-monstres qui, sous l’action de la vapeur, frappent et façonnent le métal. C’est donc en vain qu’on est fer soi-même et qu’on a passé sa jeunesse à se donner une bonne trempe. Toute solidité de caractère, toute fermeté d’âme, toute dignité, sont broyées sous l’attentat perpétuel de la force irréfléchie et têtue. Ne voulant pas plier, j’ai été brisé, reconnu bon à rien et jeté dehors avec les rebuts. Je ne m’en porte pas plus mal, Dieu merci, et me voilà libre de choisir ma voie, ce qui n’est pas une mince satisfaction, je te jure. Je dois même t’ avouer que pour la première fois de ma vie je me sens depuis quelques jours parfaitement heureux. Je vais, je viens sans but, je flâne, je respire, il me semble que mon âme emprisonnée se dilate et se renouvelle ; je n’ai pas besoin de pensera TOME LVII. — i" JUIN 1865. 34