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doit jouer. Avant d’admettre les Indiens au partage des hautes fonctions publiques, il fallait que les Indiens fussent préparés à remplir convenablement ces fonctions : ils ne l’étaient pas ; ils ne pouvaient l’être que si leurs idées et leurs usages s’accommodaient à ceux des civilisateurs étrangers, et cette transformation ne pouvait se produire avant que l’unité politique fût constituée. Or elle ne l’est que depuis l’annexion de l’Aoude, la pacification de 1858 et la proclamation du gouvernement de la reine. Cela fait en tout sept années, dont les premières ont été employées à réparer les plus grands désastres de l’insurrection. L’ère nouvelle qui vient de commencer réalisera sans aucun doute le vœu des philanthropes et des amis de l’égalité ; mais elle ne le réalisera pas subitement, parce que, cette unité politique datant d’hier, il faut laisser à l’éducation des familles nouvelles le temps de se faire.

En outre, ceux qui réclament le plus haut au nom des Indiens sont les premiers à reconnaître qu’une profonde inégalité sépare les différentes races d’hommes qui peuplent l’Inde. Deux d’entre elles se distinguent par leur intelligence et leurs aptitudes variées : ce sont les Hindous des castes supérieures et les Parsis. Les uns et les autres sont Aryas. Les premiers descendent des anciennes familles qui possédaient l’Inde avant l’invasion de Mahmoud le Gaznévide en l’an 1000, et représentent l’ancienne civilisation brahmanique ; les seconds sont venus de la Perse, fuyant devant la conquête musulmane et emportant avec eux leurs livres sacrés et leurs usages. Les Indiens nobles et les Parsis n’ont rien à envier, quant à la capacité originelle, aux Anglais qui les gouvernent ; ils seront aptes à remplir toutes les fonctions civiles, politiques et militaires, quand il plaira à l’Angleterre de les initier à ces fonctions et de les y admettre. Le plus grand obstacle, dit-on, vient moins de leur inexpérience que de l’orgueil national des Anglais ; mais la science a constaté que les Aryas de l’Inde et de la Perse sont d’une race pour le moins aussi pure que les Anglais, et que les grandes familles de brahmanes et de xattriyas, issus par des mariages sans mélange des antiques conquérans de l’Inde, ne sont nullement surpassées en noblesse par les premiers lords d’Angleterre. Si un tel orgueil existe, il est à l’égard de ces hommes distingués tout à fait déplacé et choquant, et il appartient au gouvernement de la reine de le réprimer et de l’abattre, car la conservation de l’Inde est à ce prix. Au dédain des officiers anglais, le xattriya, le brahmane et le Perse répondent par un mépris que leur loi religieuse et leurs traditions de race autorisent ; ce mépris tourne vite à la haine, et la haine engendre la révolte.

L’organisation politique de l’Inde n’aura donc de stabilité que du jour où les hommes de race supérieure qui sont les égaux des An-