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ressans à étudier. Il y a là d’étranges visages, des postures singulières, des attitudes à la fois théâtrales et abandonnées qui portent un cachet de vérité remarquable. Le grand et seul reproche sérieux que j’adresserai à M. Matejko, c’est d’avoir abusé jusqu’à l’excès des colorations noires ; il a pu ainsi obtenir plus de relief pour certaines têtes qu’il voulait mettre en lumière, mais il a affaibli l’effet général, et c’est toujours cela qu’il faut considérer en première ligne et en dernier ressort, surtout dans un tableau de cette dimension. A ne s’occuper que du procédé matériel, il faut reconnaître qu’il est excellent ; il ya là des têtes accentuées comme jamais Paul Delaroche n’aurait su en peindre et des étoffes supérieures à toutes celles que nous avons pu voir dans les toiles de M. Gallait. Si, comme je le crois, ce tableau est un début, il est de bon augure et promet à la peinture historique une recrue importante. M. Matejko a des qualités fort appréciables, et il les mettra plus favorablement en relief le jour où, renonçant aux tons noirs et fâcheux qui déparent son Skarga, il demandera aux colorations blondes les ressources considérables qu’elles offrent à ceux qui savent les employer avec discernement.

C’est aussi dans l’histoire de Pologne que M. Kaplinski a cherché un sujet, mais il l’a pris dans l’histoire contemporaine, et l’Épisode qu’il expose en est pour ainsi dire le triste et lamentable résumé. Un jeune homme vêtu de la robe noire des condamnés marche au supplice en tenant le crucifix serré contre sa poitrine et en levant les yeux vers le ciel comme pour affirmer une fois de plus que son espérance est imprescriptible, ainsi que son droit. Derrière lui et prêt à lui jeter la corde fatale, vient le bourreau. C’est d’une composition extrêmement simple, et il faut rendre à M. Kaplinski cette justice, qu’il s’est éloigné avec un goût parfait de tout ce qui pouvait être théâtral. Le sujet y prêtait pourtant singulièrement, et il n’y a que plus de mérite à être resté maître de soi-même. Point de pose, point d’attitude outrée, point de geste violent. La victime meurt avec une résignation dont tant d’exemples ont été récemment donnés ; ce fut un soldat, aujourd’hui c’est un martyr ; la cause est ajournée, mais elle n’est pas perdue ; celui qui va mourir la remet à Dieu, et peut-être, semblable à ce vieux chef croisé dont parle une chronique arabe, lui dit-il : « J’ai fait mon devoir, à ton tour de faire le tien ! » Le bourreau lui-même n’a rien de cruel ni de brutal ; il a l’air d’un garçon boucher ; il va