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Aussi nous comprenons l’heureux effet que sur certaines âmes ce livre a déjà produit. Ce n’est pas jusqu’aux masses que l’influence en peut descendre. Ce style, ces pensées, cet accent, n’ont jamais aspiré aux succès populaires ; mais depuis les hauteurs moyennes jusqu’aux sommets de notre société combien d’âmes flottantes à qui ce guide inattendu peut apporter secours ! C’est un chrétien comme il en faut pour opérer ce genre de guérisons : il n’est pas homme du métier, il n’a ni robe ni soutane ; c’est un volontaire de la foi, et de plus il déclare avoir connu lui-même les anxiétés du doute et les avoir vaincues ; chacun peut donc faire comme lui. Derrière les pas d’un homme qui dans le domaine de la pensée occupe une telle place, qui a donné de telles preuves de liberté d’esprit et de haute raison, on se hasarde volontiers, et pour certains catholiques intelligens, mais attiédis, ce n’est pas un médiocre aiguillon que de voir de pareils exemples de soumission et de foi venir d’un protestant.

Il est encore un service plus grand, plus général, que ces Méditations nous semblent avoir rendu. Depuis huit ou dix mois qu’elles ont vu le jour, ne vous paraît-il pas que la polémique anti-chrétienne a quelque peu baissé de ton ? On aurait pu s’attendre à l’explosion de certaines colères : il n’en a rien été. Les critiques les plus véhémens se sont tenus sur la réserve, et le moyen d’attaque a surtout consisté dans la conspiration du silence. De là une sorte de détente, au moins momentanée. Bien des causes sans doute y contribuaient d’avance, ne fût-ce que l’excès même de l’attaque et les impertinences de certains assaillans ; mais le livre, disons mieux, l’acte de M. Guizot a, selon nous, sa bonne part dans ce désarmement. Une profession de foi si nette et si vigoureuse ne peut pas être attaquée mollement. Pour répondre à un homme qui franchement se dit chrétien, il faut avoir pris son parti soi-même et déclarer tout haut qu’on est anti-chrétien. Or aujourd’hui ceux qui le sont le plus n’aiment pas toujours à le dire. C’est quelque chose de bien tranché : notre temps se plaît aux demi-teintes ; il a le goût des nuances ; on lui fait baisser pavillon en arborant une couleur. Voilà comment le christianisme lui-même recueille un certain profit du peu de bruit qu’on fait autour de ces Méditations. Ce n’est pas pour l’auteur le moindre prix de ses efforts. Qu’il continue du même ton, dussent ses adversaires persévérer dans le silence ; il les embarrassera de plus en plus, tandis qu’il donnera de plus en plus force et courage à ceux qui penchent du bon côté.


L. VITET.