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raines. Certes nous sommes de l’avis de l’empereur : Napoléon se présente à l’histoire par plusieurs côtés, et l’on s’exposerait à mal reproduire cette curieuse figure, si on ne l’étudiait que sous un seul aspect. Il y a eu dans le seul Napoléon plusieurs hommes, le général Bonaparte des guerres d’Italie, le premier consul, l’empereur dans l’ivresse de la victoire et du pouvoir, l’homme des cent-jours, l’homme de Sainte-Hélène. L’esprit humain, dans l’appréciation des grands hommes, n’est point armé des procédés de cette invention nouvelle qu’on nomme la photo-sculpture, et qui, saisissant à la fois tous les aspects d’un modèle, fournit au praticien les élémens d’une statue exacte. D’ailleurs les phases du génie sont successives, et tout en admettant qu’il y ait eu plusieurs hommes dans Napoléon, la question est encore de savoir à quel moment il faut prendre Napoléon pour le trouver dans la maturité de sa raison et de son âme. Quant à nous, nous en ferons l’aveu, ayant à faire ce choix, nous ferions comme le prince Napoléon : nous préférerions à l’empereur infatué des faveurs de la fortune et des miracles de la force le grand homme touché par les revers, à la fois dompté et éclairé par l’expérience, l’homme des cent-jours et de Sainte-Hélène. Qu’on ne s’y trompe point : la France a fait le même choix que nous. La popularité napoléonienne s’est bien plus attachée au Bonaparte des cent-jours et de Sainte-Hélène, au grand homme malheureux qui a reconnu trop tard les abus et les maux du pouvoir absolu, les droits et les avantages de la liberté, qu’à l’empereur de 1809 et de 1812, étourdi de la toute-puissance. Tous ces esprits généreux et cultivés qui, durant la restauration et le régime de 1830, travaillèrent à l’apothéose de Napoléon, avaient devant les yeux l’idéal libéral que l’empereur abattu avait eu la puissance de faire jaillir du rocher de Sainte-Hélène. C’était cette même image du libéralisme napoléonien que les héritiers de Bonaparte nous présentaient dans leurs écrits. Ce n’est donc point manquer de respect et de fidélité envers la mémoire de Napoléon que de rattacher sa tradition aux aveux et aux effusions de sa captivité, de demander en son nom la réalisation d’un programme qu’il ne lui a point été donné d’accomplir, et dont il n’a pu tracer que les grandes lignes. Il est vrai que le libéralisme des cent-jours et de Sainte-Hélène, n’ayant point eu l’épreuve des faits, a laissé dans le monde un grand nombre d’incrédules. C’est avec ces sceptiques déterminés que le prince Napoléon essayait d’engager la lutte. Il serait oiseux d’entamer aujourd’hui le débat après la lettre de l’empereur, et la question ajournée demeurera jusqu’à nouvel ordre indécise.

Que ce grave incident ait donné une commotion à l’esprit public, on ne saurait le nier. Ce n’est point la seule préoccupation qui ait agité l’opinion depuis quinze jours. Nous ne parlons point de l’actif et brillant voyage de l’empereur en Algérie : nous ne connaîtrons les grands résultats de cette utile excursion qu’après le retour de l’empereur et l’exposé des mesures que le souverain prépare sans doute pour le développement de notre co-