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rait englouti les voyageurs ; mais il n’y avait pas à hésiter, c’était la seule issue. Ils s’attachèrent à la corde, et, se laissant dévaler, ils arrivèrent en bas sans accident. Il était déjà sept heures du soir quand ils atteignirent la terre ferme au pâturage de Gad-men. Comme l’hôtel du Riffel n’existait pas encore, ils furent obligés de descendre jusqu’aux chalets d’été d’Augstkumme, qu’ils n’atteignirent qu’à onze heures. La course entière avait duré dix-neuf heures. MM. Schlagintweit en avaient rapporté une série d’observations physiques, géologiques et trigonométriques du plus grand intérêt qu’ils ont consignées dans leur bel ouvrage sur les Alpes.

Ce n’est qu’en 1855 que la plus haute cime, la Aller-höchste-Spitze, fut enfin gravie par des Anglais, les frères Smith, de Yarmouth. Ils découvrirent une route nouvelle, que suivit avec succès dès le lendemain M. Kennedy, de l’université de Cambridge, président de l’Alpine Club de Londres[1], avec M. Tyndall, l’un des plus audacieux de ces ascensionistes que chaque année l’Angleterre envoie à l’assaut des pics les plus inaccessibles des Alpes. Le voyageur qui suit cette route arrive au plus haut sommet en attaquant la dernière pyramide rocheuse par le sud-ouest, au lieu de l’aborder par le nord-est, comme on l’avait fait précédemment. Il n’atteint le but que par une vertigineuse escalade sur une arête aiguë formée de pierres désagrégées et de gros blocs redressés, sur lesquels il faut s’élever, tantôt en s’y cramponnant des pieds et des mains, tantôt en se faisant hisser au moyen de cordes tenues par les guides.

On le voit, l’ascension du Mont-Rose exige plus de force, plus d’adresse, plus de sang-froid que celle du Mont-Blanc ; mais elle est moins périlleuse, parce que l’on a moins à redouter les crevasses cachées, les avalanches et le glissement des neiges, ces dangers où peuvent succomber les montagnards les plus prévoyans et les plus aguerris. Maintenant qu’on peut passer la nuit à l’hôtel du Riffel, à l’altitude de 7,500 pieds, on n’a plus à gravir le lendemain que 7,000 pieds environ, et en partant le matin à trois heures, on peut rentrer avant la nuit close, après quatorze ou quinze heures de marche. Quand plusieurs voyageurs se réunissent, un guide suffit pour chacun d’eux, de manière que les frais ne s’élèvent qu’à une soixantaine de francs. Aussi les ascensions sont-elles chaque année

  1. Il s’est formé à Londres, sous le nom d’Alpine Club, une société composée de ceux qui se plaisent aux excursions dans les hautes montagnes. M. John Ball, l’un des présidens de la société, a publié différens recueils d’ascensions exécutées par des membres de l’Alpine Club. En Suisse, une association du même genre vient de se constituer, et elle a publié une sorte d’annuaire si intéressant que l’édition a été enlevée en quelques semaines.