nelle de désagrégation. La pluie, la gelée entament la roche la plus dure ; elle se fend et s’effrite : emportés par leurs poids, les débris se précipitent. Jamais le travail de destruction ne s’arrête ; tout s’écroule et tombe. Les pics restés debout ne sont que les ruines des monumens soulevés, il y a des millions d’années, par les forces vives de la planète adolescente.
A deux heures, la petite troupe était debout. L’obélisque menaçant élevait au-dessus de leurs têtes dans l’air maintenant serein ses parois verticales. L’aspect n’était guère encourageant. Nul ne se faisait illusion sur les chances contraires que présentait l’audacieuse entreprise, mais tous étaient décidés à ne reculer que devant une impossibilité bien démontrée. Au point du jour, ils se mirent en marche. Quand il s’agit de montagnes relativement arrondies comme le Mont-Blanc ou le Mont-Rose, on s’élève peu à peu sur les glaciers et sur le névé ; mais lorsqu’il faut escalader une dent si aiguë que la neige même n’y peut adhérer, la difficulté est d’une tout autre nature. Le seul moyen de monter est alors de gravir l’une des arêtes qui dessinent le profil de la montagne. C’est ce que firent M. Tyndall et ses compagnons. L’arête qu’ils suivaient n’était pas coupée régulièrement. Les masses désagrégées du gneiss formaient des tours, des murs, des bastions énormes, qu’il fallait successivement prendre d’assaut. Tout à coup se dresse devant eux une paroi complètement perpendiculaire qui barre le chemin. Aucun moyen, semble-t-il, de l’escalader : il va falloir redescendre, car à droite et à gauche s’ouvrent des précipices à pic de plusieurs milliers de pieds de profondeur. On fera néanmoins une tentative désespérée. La paroi droite présente par intervalles de petits rebords et des corniches ; aux unes les doigts peuvent s’accrocher ; sur les autres, on peut appuyer l’extrémité du pied. On s’attache à la corde. Walters est le premier, Benen le suit. Il s’élève en mettant les doigts dans une fissure où il parvient ensuite à introduire ses souliers ferrés. L’épaule de Benen lui sert de point d’appui. Il arrive à une première corniche où il attache la corde ; Benen l’y rejoint. Ils grimpent ainsi adhérant au rocher vertical et s’y cramponnant d’une main crispée, avec l’énergie que donne la vue de la mort certaine à la moindre faiblesse d’un muscle fatigué, car leur corps est suspendu au-dessus de l’abîme. Enfin un dernier effort les porte au sommet de cette épouvantable muraille. La pente de l’arête s’adoucit alors, et l’ascension est moins périlleuse. Déjà même l’un des sommets devient visible ; le succès paraît assuré. Un sourire de satisfaction, aiguisé d’une pointe de dédain, illumine le visage de Benen : « Victoire ! s’écrie-t-il ; avant une heure, Zermatt verra notre bannière plantée sur la plus haute cime. »