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maux qui habitent en nomades ces terres désolées. Au retour de sir Leopold Mac Clintock, on reconnut qu’il y avait quelque espoir de recueillir de nouveaux indices sur le sort de ces malheureux, mais qu’il fallait tenir compte des difficultés insurmontables qui arrêtent les navires dans des mers gelées pendant neuf mois de l’année et suivre un plan différent de celui qui avait été adopté jusqu’alors. Quelques hommes isolés, qui se soumettraient volontiers à la façon de vivre des Esquimaux, qui adopteraient leurs mœurs, leur genre d’existence, et comprendraient leur langue, devaient pénétrer avec moins de peine dans les terres polaires et y recueillir par une fréquentation quotidienne des indigènes la tradition du séjour d’autres hommes blancs dans les mêmes parages. Pour subsister au milieu des glaces et y conserver la force et la santé, il est indispensable de vivre comme les Esquimaux vivent eux-mêmes. Quand l’équipage d’un bâtiment baleinier est attaqué du scorbut, le capitaine met les hommes malades au régime des indigènes ; nourris de viandes crues et couchant sous des huttes de neige, ils guérissent promptement. On s’habitue bien vite à une telle existence qui n’a rien d’incompatible avec la constitution physique de l’Européen. L’homme blanc peut supporter sans péril les froids de l’extrême nord ; il peut s’y accoutumer et passer même de longues années sous ce climat excessif, pourvu qu’il sache modifier ses habitudes. Il est donc probable que plusieurs des compagnons de Franklin vivent encore au milieu des Esquimaux des terres de Boothia, de Victoria et du Prince-Albert, où l’expédition de ce célèbre navigateur est venue misérablement échouer. Si l’on en visitait les rivages aux mois de juillet, août, septembre, qui sont les plus doux et les plus favorables de l’année pour voyager dans les glaces, il serait possible sans doute de lier connaissance avec les Esquimaux qui les ont rencontrés ; peut-être les retrouverait-on eux-mêmes ; au moins on pourrait découvrir les tombes de ceux qui ont succombé, réunir des débris de l’expédition et recueillir de précieux renseignemens sur une entreprise encore enveloppée de tant de mystères.

Telles sont les pensées qui avaient inspiré M. Hall au début du voyage qu’il a entrepris dans les mers arctiques. Le but qu’il s’était proposé n’a pas été atteint, et l’on va voir quels événemens l’ont empêché d’aller jusqu’au bout ; mais il a préparé la voie en étudiant à fond pendant un séjour de deux années les mœurs curieuses des peuplades du Nord. Avant de repartir pour une nouvelle expédition où il pourra profiter de l’expérience acquise, il a raconté les aventures de cette première et pénible pérégrination, qui ne fait que confirmer les espérances précédemment conçues.