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veilleux instincts des abeilles et des fourmis. De degré en degré vous arrivez aux poissons, aux amphibies, dans lesquels le cerveau (c’est-à-dire les deux hémisphères) est déjà visible, et présente à un degré rudimentaire la forme qu’il conservera dans toute la série des vertébrés. Peu à peu le cerveau augmente de dimensions et se perfectionne quant à la structure à mesure que l’on passe des poissons aux oiseaux, des oiseaux aux mammifères, et que dans cette dernière classe on remonte la série des espèces dans l’ordre de leurs facultés intellectuelles.

Cette gradation corrélative ne peut sans doute pas être niée lorsqu’on se borne à des faits très généraux ; mais on est très embarrassé pour déterminer la circonstance précise qui assure la supériorité d’un cerveau sur un autre, de l’intelligence d’une espèce sur l’intelligence d’une autre espèce. On est d’abord conduit à penser que cette circonstance est le volume ou plutôt la masse des cerveaux[1], car c’est une loi assez générale de la physiologie que la force des organes est proportionnelle à leur masse, et ainsi, par exemple, les plus gros muscles sont les plus forts. On a donc pensé à peser les cerveaux aux différens degrés de la série animale, et à comparer cette échelle de poids avec l’échelle d’intelligence des différentes espèces. Or cette comparaison ne donne pas des résultats très satisfaisans, car s’il est un grand nombre d’animaux où la loi paraît se vérifier, il est des exceptions capitales et inexplicables. Le chien par exemple, nous dit Leuret, n’a pas plus de cervelle que le mouton, et il en a moins que le bœuf. le cerveau de l’éléphant[2] pèse trois fois plus que le cerveau humain. La baleine et plusieurs autres cétacés ont également un cerveau supérieur à celui de l’homme. Gall, très opposé à la méthode des pesées, considérait ces exceptions comme tout à fait décisives contre l’hypothèse qui mesure la pensée par la masse cérébrale.

Mais ici une question très délicate se présente. Lorsque l’on pèse des cerveaux pour y chercher une indication sur l’intelligence respective des animaux, doit-on se contenter du poids absolu des cerveaux comparés ? , Ne faudrait-il pas tenir compte, dans cette comparaison, de la taille et de la grandeur des animaux ? Par exemple, est-il bien étonnant que l’éléphant, qui est un animal bien plus

  1. Les physiologistes emploient indifféremment les expressions de volume ou de masse, quoiqu’elles ne soient pas synonymes, l’une étant relative aux dimensions et l’autre à la quantité de matière ; mais en général les organes de même espèce contiennent d’autant plus de matière qu’ils sont plus gros : le volume étant ainsi proportionnel à la masse, on peut prendre l’un pour l’autre sans inconvénient.
  2. Il s’agit des hémisphères cérébraux, ce qui est très important à signaler.