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faire face aux dépenses dans lesquelles il s’engageait, il envoya vendre en Dalmatie les débris de son patrimoine de famille, quelques champs en friche, quelques fermes échappées à demi aux ravages des Barbares et à l’incurie des colons, — vente difficile, qui ne fut réalisée qu’en 397 par Paulinien. Paula voulut se charger du reste. Le monastère de Jérôme, bâti dans un lieu de facile défense, fut muni d’une tour de refuge, précaution qui n’était pas superflue, comme l’événement le démontra plus tard ; celui de Paula s’éleva dans la plaine, à quelque distance au-dessous, et il s’accrut successivement de trois autres à peu près contigus. L’établissement monastique fut complété par la construction d’un hospice ou hôtellerie gratuite placée près du grand chemin, et destinée aux visiteurs et aux passans, à l’instar de ce qui se pratiquait à Nitrie. « Si Joseph et Marie revenaient à Bethléem, disait Paula avec une grâce charmante, ils trouveraient enfin où loger : » puis il y avait tant de pèlerins sur la route de Jérusalem ! Quant à Jérôme, impatient de se mettre à l’étude, il choisit, sous le coteau, une grotte voisine de celle de la Nativité, et la plus spacieuse après celle-ci, pour en faire son cabinet de travail et sa cellule de méditation. On y arrivait du dehors par un sentier qui se détachait de la grande route, près du tombeau d’Archélaüs, ancien ethnarque de la Judée. Ses livres, ses papiers, ses scribes, tous ses instrumens d’étude, furent bientôt installés dans ce lieu, qu’il appelait « son paradis. » Il écrivait de là, quelques années plus tard, à Augustin : « Je me tiens bien caché dans ce trou pour y pleurer mes fautes, en attendant le jour du jugement. »

Il fixa dès lors la manière de vivre à laquelle il resta fidèle jusqu’à sa mort, n’usant que de la nourriture la plus commune et des vêtemens les plus grossiers. Son repas se composait d’un peu d’herbe et de pain bis ; le vin et la viande en étaient exclus, sauf les cas de maladie, et il regardait comme une rupture du jeûne de manger avant le coucher du soleil. Les heures de la prière étaient réglées ; quant à celles du travail, il les prenait aussi bien sur la nuit que sur le jour. Pour payer sa bienvenue aux habitans de Bethléem, il ouvrit dès son arrivée une école gratuite de grammaire, à laquelle accoururent bientôt tous les enfans de la ville. Il y enseignait le grec et le latin. Ramené par devoir aux livres de sa jeunesse, qu’il avait tant chéris et tant maudits, quittés, repris et quittés encore, il les ressaisit de nouveau avec une passion toute juvénile ; Virgile, les poètes lyriques, les poètes comiques, les orateurs, les historiens, les philosophes, Cicéron, Homère, Platon, devinrent sa lecture journalière, et il ne se lassait pas de les relire pour les expliquer, retrempant son génie à ces sources du beau et du grand