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minute[1]. Dès le 2 février, le courant principal, dont la largeur variait de 300 à 500 mètres sur une épaisseur moyenne de 15 mètres, atteignait le rebord supérieur de l’escarpement de Colla-Vecchia ou Colla-Grande, à 6 kilomètres de la fissure d’éruption, et plongeait en cataracte dans la gorge située au-dessous. Ce fut un magnifique spectacle, surtout pendant la nuit, que la vue de cette nappe de matière fondue, d’un rouge éblouissant comme le fer de la forgé, réchappant en couche amincie des amas de scories brunes graduellement accumulés en amont, entraînant des blocs solidifiés qui s’entre-choquaient avec un bruit métallique, et s’abîmant dans le ravin pour rejaillir en étoiles de feu ; mais ce phénomène splendide ne dura qu’un petit nombre de jours : en perdant de sa hauteur, la chute de feu diminuait graduellement en beauté. Au-devant de la cataracte et sous le jet lui-même se formait un talus de laves sans cesse grandissant qui finit par combler le ravin et prolonger la pente du vallon supérieur. De ce réservoir profond de plus de 50 mètres, le torrent continua de couler à l’est vers Mascali en emplissant jusqu’aux bords la gorge tortueuse d’un ruisseau desséché.

Au milieu du mois de février, la coulée, déjà longue de plus de 15 kilomètres, n’avançait qu’avec une grande lenteur, et les laves, encore liquides, se frayaient péniblement une issue à travers leur carapace de pierres refroidies au contact de l’atmosphère. Les villages et les bourgs situés à la base de la montagne n’étaient plus directement menacés ; mais les désastres causés par l’éruption n’en étaient pas moins très considérables. Un certain nombre de maisons de ferme avaient été rasées, de vastes étendues de pâturages et de cultures avaient été recouvertes par les roches lentement figées, et, malheur bien plus grand encore à cause du déboisement presque général de la Sicile, une large lisière de forêt, comprenant d’après les évaluations diverses de cent à cent trente mille arbres, chênes, pins, châtaigniers ou bouleaux, était complètement détruite. Vus du bas de la montagne, tous ces troncs enflammés et portés sur la lave comme sur un fleuve de feu avaient singulièrement contribué à la beauté du spectacle. De même que dans tous les événemens de ce monde, le malheur des uns avait fait la satisfaction des autres. Durant la première période de l’éruption, tandis que les villageois de l’Etna se lamentaient ou voyaient avec stupeur la destruction de leurs forêts, des centaines de curieux que des bateaux amenaient journellement de Catane et de Messine venaient se donner

  1. Ces chiffres, empruntés à la relation du professeur Orazio Silvestri, sont le résultat de mesures faites avec soin par un ingénieur italien, M. Viotti.