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supérieures, il faudrait les broyer et les mélanger à des terres déjà fertiles ; néanmoins le travail de la nature et celui de l’homme finissent par en venir à bout : le sedum, l’oseille, la valériane rouge, l’euphorbe réveille-matin et d’autres plantes se logent dans les fissures de la cheire de Catane ; les jardiniers, de leur côté, y insèrent les bourgeons des cactus, qui se développent rapidement, et cachent la pierre rougeâtre sous un impénétrable fourré de palettes épineuses brillant au soleil d’un éclat métallique. Des figuiers rampant sur le sol glissent leurs longues racines dans les interstices de la roche. En certains endroits, la vigne même réussit à vivre et à porter des fruits sur ces dures scories, qui semblent autant de blocs de fer. Il est aussi diverses laves qui, par suite de la friabilité de leurs cristaux et de la quantité de cendres et de poussière que leur apportent les vents, se prêtent à une culture rudimentaire dans l’espace de quelques années. Telles sont les coulées de Zaffarana, sorties du sein de la terre en 1852 et 1853. Cinq ans après, ainsi que M. Lyell a pu le constater, les habitans des villages voisins plantaient déjà des genêts dans les creux de la cheire où s’étaient accumulés les fragmens brisés des laves[1]. Non moins persévérans que les fourmis, qui rebâtissent sans se lasser les buttes détruites par le pied des promeneurs, les paysans de l’Etna recommencent de siècle en siècle leur travail acharne, et sur chaque fleuve de pierre qui recouvre leurs champs ils étendent de nouvelles campagnes non moins verdoyantes que ne l’étaient les vergers disparus.

On s’étonne souvent de voir les Etnéens passer leur existence sans inquiétude sur une montagne qui, d’un moment à l’autre, peut détruire leurs cultures, raser leurs villages et les engloutir eux-mêmes ; toutefois cette sécurité est bien plus facile à comprendre que celle des matelots qui voguent sur la mer au milieu des tempêtes ou celle des citoyens d’une grande ville qui respirent l’atmosphère impure des égouts. Il ne faut point s’exagérer les dangers des trois cent mille Siciliens qui vivent et « dansent sur un volcan, » car les désastres causés en moyenne par les éruptions de lave pendant la durée de chaque génération sont relativement assez minimes quand on les répartit sur les nombreux habitans de la contrée et qu’on les compare à l’ensemble des richesses territoriales. Il est vrai que le formidable courant de 1669 s’étendit sur un espace d’au moins 110 kilomètres carrés[2], et détruisit quatorze

  1. Il est à remarquer que les bords des cratères d’éruption sont en général plus élevés du côté de l’est, parce que les vents d’ouest, ceux qui soufflent le plus fréquemment, y ont porté une plus grande quantité de cendres et de poussière : par la même raison, les versans orientaux des buttes sont aussi les plus fertiles.
  2. La superficie de la cheire de Catane est de 112 kilomètres environ. En évaluant les dimensions moyennes de ces laves à 20 kilomètres de long, à 5 kilomètres de large et à 10 mètres de haut, la contenance totale de la coulée serait d’un milliard de mètres cubes : c’est un volume dix fois supérieur à celui de toute la terre qu’il faudra déblayer pour le percement de l’isthme de Suez.