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appréciation de son attitude depuis bientôt quatre ans, — le moindre besoin de dissimuler ses mécomptes militaires de 1860 ou sa défaite diplomatique de 1861.

Ces mécomptes, ne l’oublions pas, sont le résultat d’une illusion fort avouable, celle d’avoir supposé au premier moment, c’est-à-dire au vrai moment de l’action, que les Turcs, vu la gravité de la circonstance, cesseraient pour une fois d’être Turcs, — qu’allant au plus pressé, ils visaient avant tout à se réhabiliter vis-à-vis de l’Europe par la plénitude et la rapidité de la réparation, — qu’à défaut même du soin de leur considération, le désir bien naturel de se débarrasser de l’expédition française les ferait se hâter de rendre sa présence inutile, et qu’il y avait dès lors générosité et habileté à leur laisser le mérite d’une initiative qui, sincère ou non et en les libérant peut-être à trop bon compte pour le passé, les aurait plus ou moins liés pour l’avenir. Notre sécurité à cet égard était d’autant plus naturelle que nous avions droit de faire quelque fond sur la pression de l’opinion anglaise, si énergiquement associée à la nôtre dans cette affaire des massacres, et même de la politique anglaise, qui, pour atténuer la complicité des Druses, dénonçait hautement la culpabilité des agens turcs. Si nous n’avons pas à nous vanter ici de notre perspicacité, nous pourrions tout au moins nous prévaloir de notre désintéressement. Cette attitude de notre alliée de 1854, c’est-à-dire de la seule puissance qui eût dans la circonstance autorité pour discuter et surveiller notre intervention, — la stupeur ahurie des Turcs, qui, en voyant débarquer l’expédition française, semblaient uniquement préoccupés de savoir par quel côté on les laisserait partir, — le terrible conseil de discipline et d’union que venaient de recevoir les différens rites chrétiens, les avances secrètes que dictait aux Druses soit le sentiment de l’écrasante responsabilité encourue par leur race, soit la certitude d’avoir fait un double marché de dupes en oubliant leur traditionnelle antipathie envers ces Turcs qui, après s’être servis d’eux comme assassins, ne demandaient pas mieux que de les offrir comme victimes expiatoires[1] ; — enfin, et pour sortir du Liban, la notoire lâcheté de ces musulmans de Damas, qu’on aurait imman-

  1. Les seules condamnations à mort prononcées par le tribunal extraordinaire de Beyrout tombèrent, comme on sait, sur les chefs druses, lesquels ne durent leur salut qu’aux délais occasionnés par la commission européenne elle-même, qui demandait peine égale pour Kourchid-Pacha, Taher-Pacha et les autres accusés turcs, condamnés, quoique les plus coupables de tous, à un simple emprisonnement. On doit se rappeler aussi l’insistance avec laquelle Fuad-Pacha offrait une large exécution de Druses, à la seule condition que les évêques et, sur le refus de ceux-ci, les notables chrétiens (qui refusèrent également) consentiraient à donner à cet acte de justice le caractère d’un talion de race en désignant eux-mêmes les têtes à frapper.