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donc réduits à considérer comme un véritable succès diplomatique de n’avoir pas été cette fois battus sur toute la ligne. On peut même avouer que, dans les deux seules modifications sérieuses obtenues par l’ambassade de France, l’idée favorite des Turcs regagne en fait peut-être plus qu’elle ne perd en principe ; mais enfin la question reste désormais engagée de façon que, dans l’un ou l’autre des deux sens entre lesquels elle se partage, elle aboutit forcément à l’une ou l’autre de ces conclusions : que les Libanais sont éminemment gouvernables en dehors du système anglo-turc, et qu’ils cessent de l’être au contact de ce système. L’essentiel pour des populations si éprouvées, c’est que, dût-elle mûrir plus lentement, cette question ne mûrisse pas dans les orages, et voilà pourquoi la France n’a pas hésité, une fois bien persuadée que l’heure de l’indigénat n’était pas encore venue, à demander le renouvellement pour cinq ans des pouvoirs de Davoud-Pacha, lequel souffle le chaud et le froid en proportions assez égales pour inspirer certaine sécurité à cet égard, De leur côté, les Turcs, heureux d’avoir mis la main sur un homme si propre à faire patienter les répugnances soulevées par la nouvelle organisation, et qui comptent d’ailleurs beaucoup sur les nécessités de défensive où il se trouve placé pour arriver graduellement et sans esclandre, sous le couvert de la confiance relative qu’il inspire, à l’annulation des grandes influences locales, ses antagonistes-nés, les Turcs, disons-nous, n’ont pas mis moins d’empressement que la France à proposer ce renouvellement.

On sera tenté de demander qui se trompe ici. À notre avis, personne. La Porte spécule sur les mauvais côtés de Davoud-Pacha, comme la France sur les bons. Remarquons seulement, à l’appui du vote de la France, que les premiers tiennent à des vices de situation dont tout successeur non indigène du gouverneur actuel subirait au moins autant que lui l’influence, tandis que les seconds tiennent à des qualités personnelles qu’on ne rencontre pas une fois sur mille parmi les fonctionnaires expédiés de Constantinople. C’est, croyons-nous, l’impression qui résultera de l’ensemble de faits que nous allons exposer.


I

Davoud-Pacha[1], devenu ainsi pour la seconde fois, et à l’issue d’une expérience qui semblait devoir irrémédiablement le compro-

  1. Garabet Artine Davoud (et non pas Daoud, comme on s’obstine à l’écrire, même dans les documens officiels) est né à Constantinople en 1816. Sa famille, originaire de l’Asie-Mineure, eut beaucoup à souffrir des persécutions de 1827. Il fit ses premières études au collège français de Smyrne, et débuta dans la carrière des emplois comme professeur de langues étrangères et traducteur à l’école militaire ottomane. Il parle couramment six langues vivantes et en comprend déjà suffisamment une septième, l’arabe, pour pouvoir surveiller ses drogmans, point capital dans le pays. C’est en 1845 qu’il publia, et en français, son Histoire de la Législation des anciens Germains, qui le fit nommer membre honoraire de l’académie des sciences de Berlin et lui valut en outre une grande médaille de prix. En 1858, il fut reçu docteur en droit par l’académie des sciences d’Iéna à l’occasion de son troisième anniversaire séculaire.