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eux qu’avaient principalement atteints les massacres et les dévastations passées, et eux dès lors que menaçait le plus dans le présent et dans l’avenir l’audacieux déni de réparation que la Porte avait pu se permettre en présence même de l’intervention européenne. Devant une solution qui sanctionnait de fait ces crimes et cette impunité en donnant un surcroît d’action à l’administration turque, au moins solidaire des uns et directement responsable de l’autre ; devant ce gouverneur-général qu’on leur présentait comme chrétien, mais qu’ils voyaient sous l’uniforme maudit des pachas, ― qu’ils pouvaient d’ailleurs supposer chrétien à la façon d’autres Arméniens, inspirateurs ou agens des plus odieuses manœuvres de Fuad-Pacha, ― on conçoit que les coreligionnaires libanais des morts de Damas, d’Hasbeya et de Rachaya, les échappés de Zahlé en cendres, et les : rares survivans de Deir-el-Qamar[1] se préoccupaient d’autre chose que des vanités de rite. Les sinistres appréhensions qu’ils puisaient dans leurs souvenirs étaient d’autant plus excusables que le règlement de 1861, en attendant l’organisation d’une force indigène, organisation pour laquelle il n’assignait ni délai ni ressources, confiait la sûreté des routes de Beyrout à Damas, et de Saïda à Tripoli, — c’est-à-dire le Liban en long et en large, — aux bataillons turcs. C’est donc en vain qu’un ancien prêtre catholique de Damas, récemment revenu de Constantinople évêque schismatique et grand ami des Turcs, essaya, dans une harangue de remercîmens à l’adresse du sultan et du commissaire impérial, de réveiller la fibre sensible des deux communautés. Le patriarche schismatique lui-même ne réussit pas à donner le branle aux marques d’approbation. Les Grecs des deux communions abandonnaient décidément, eux aussi, au groupe toujours sanglotant et maudissant des femmes la tâche de répondre à la notification pour laquelle ils avaient été convoqués.

Les Druses, qui, tout en exécrant au fond du cœur Fuad-Pacha, se sentaient plus d’un motif de le ménager, avaient répondu en assez grand nombre à cette convocation ; mais leur morne attitude disait suffisamment que les appréhensions et les regrets n’étaient pas tous du côté de leurs victimes. Qu’avaient-ils en effet gagné à trahir la solidarité nationale qui les unissait de temps immémorial aux chrétiens, à ne pas se contenter d’un partage où, malgré leur infériorité numérique, ils pesaient dans la balance des pouvoirs et des influences le même poids que tous les chrétiens ensemble, à chercher dans l’alliance de l’ennemi commun des moyens d’oppres-

  1. La moitié environ de la population de Deir-el-Qamar appartenait aussi aux deux rites grecs.