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hospitalité, créé une occasion de lutte entre Druses et chrétiens. L’illégalité et la partialité prenaient ainsi la forme d’une mesure d’ordre et de conciliation.

En second lieu, Davoud-Pacha détacha arbitrairement Deir-el-Qamar du district du Chouf pour la constituer en municipalité indépendante relevant du gouvernement seul et avec une force armée exclusivement recrutée parmi ce qu’il y restait d’habitans mâles. Afin de mieux établir son isolement du moudirat druse, Deir-el-Qamar eut en propre un simulacre officiel de moudir, et pour ne pas réveiller à cette occasion les misérables rivalités des trois fractions chrétiennes, rivalités qui survivaient à l’immense immolation où leur sang venait de se mêler en ruisseaux, Davoud-Pacha confia ce mandat nominal à un Arménien de sa suite.

En troisième lieu, Davoud-Pacha transporta le siège de son gouvernement à l’opposite de la vallée, au château isolé de Beit-ed-Din. Placé au rond-point de cinq ou six voies qui rayonnent séparément, les unes vers les centres druses, les autres vers les centres chrétiens, Beit-ed-Din était un véritable terrain neutre où Druses et chrétiens n’étaient exposés à se rencontrer que sous les yeux de l’autorité centrale, et où ils pouvaient d’ailleurs se rencontrer sans que les têtes de mort se missent de l’entrevue. Ce n’est pas que le massacre n’eût fait largement sa besogne dans l’ancienne demeure de l’émir Béchir : pour tout dire, il y avait là aussi une garnison turque ; mais elle s’était passée du concours des Druses, fort occupés dans ce moment-là aux environs, pour égorger les cent et quelques paysans maronites que l’offre sacramentelle de protection avait attirés avec leurs familles dans cet antre[1].

Cette triple violation du règlement par laquelle Davoud-Pacha inaugurait son entrée en fonctions, et où il ne voyait probablement lui-même qu’un expédient de circonstance et de détail, déblaya comme par enchantement la situation tout entière, Si prévenues qu’elles fussent contre les pachas qui parlent français et qui citent l’Évangile (une des rubriques de Fuad-Pacha), un fait sautait aux yeux des populations chrétiennes : c’est que, pour reprendre en grand et d’emblée l’œuvre que les agens turcs n’avaient pas cessé de poursuivre même au prix d’une responsabilité effroyable, il eût suffi à Davoud-Pacha de se retrancher, les bras croisés, dans le res-

  1. Le bimbachi où commandant turc recommandait à sa troupe de tuer sans tirer, c’est-à-dire à coups de crosse et à coups de baïonnette, de crainte sans doute que le bruit de la fusillade ne donnât inopportunément l’éveil aux chrétiens traqués qui pouvaient être encore tentés de venir se réfugier à Beit-ed-Din. La femme du bimbachi sauva une douzaine de ces malheureux en barrant de son corps aux baïonnettes turque » la porte de la chambre où ils s’étaient cachés.