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Désert, a bien autrement traité ce thème ; mais les gens qui éprouvent le besoin de prophétiser après coup, de tirer de faciles horoscopes, ont très judicieusement découvert le futur grand maître dans cet agréable bégaiement symphonique. Pourquoi maintenant le Théâtre-Lyrique ne nous donnerait-il pas les Noces de Gamache, un autre œuf du même panier, pondu par un bambin de seize ans, et dont il parait que les Berlinois de l’époque ne goûtèrent point le régal ? On aurait de la sorte un petit Mendelssohn complet à l’usage des élèves de solfège.

Soyons sérieux, et ne compromettons pas ainsi par trop de zèle les renommées que nous voulons servir. L’homme que cette fadaise musicale nous représente comme un servile et plat imitateur de l’école viennoise fut celui dont l’œuvre en son ensemble serait au contraire une protestation, une espèce de polémique indirecte contre le maniérisme des faux disciples de Haydn et de Mozart. En prenant Bach, Haendel et Beethoven pour colonnes de son édifice, Mendelssohn faisait surtout œuvre de réaction. A ses idées de production se mêlaient des idées de réforme. Chez lui, le théoricien et le compositeur marchaient toujours de front. C’était un bel esprit, un éclectique, ce que dans le pathos classique on appellerait un réformateur du Parnasse allemand. Enfin Malherbe vint ! Malherbe ici se nomme Mendelssohn. Il vint pour restaurer le passé et fonder l’avenir par l’étude des maîtres. Regarder en arrière, chercher dans ce que d’autres ont produit avant nous aliment à notre propre inspiration, — raffinement, signe des périodes avancées ! Ainsi que Meyerbeer, par la rare culture de son esprit, sa position, sa fortune, Mendelssohn réalisait le type de l’artiste homme du monde, du musicien gentleman. Il savait le grec, le latin, parlait, écrivait toutes les langues vivantes, dessinait, peignait de main de maître. C’était de plus un charmant cavalier, beau valseur, fine lame, et capable de défier à la nage ce Byron auquel il ressemblait par son œil de flamme, son noble front, ses cheveux bien plantés d’un noir brillant. On a de lui des conversations intéressantes sur son art, la façon dont il le pratiquait, des points de vue sur les hommes et sur les choses qui, pour n’être pas toujours irréfutables, témoignent d’une haute raison, d’un fonds sérieux de doctrines. Cela est calme, froid, sensé, trop sensé peut-être, et d’un tour d’esprit qui, souvent spécieux, presque toujours conclut bourgeoisement.

« Un musicien, disait-il un jour, ne doit pas laisser s’écouler vingt-quatre heures sans composer quelque chose. Nulla dies sine lineâ : c’est mon principe. Par malheur, bien peu d’artistes sont capables d’évoquer ainsi la Muse à point nommé, et s’il en a existé quelques-uns doués de ce merveilleux don, j’avoue humblement ne pas être du nombre. N’importe, j’écris toujours, ne fût-ce que pour m’entretenir la main, car de même qu’un virtuose risque de perdre sa dextérité en négligeant son instrument, ainsi par un trop long repos les facultés de l’intelligence s’engourdissent,