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sur les choses qui sont le meilleur commentaire qu’on puisse donner de ses œuvres. Les faiseurs de mémoires ont de notre temps beaucoup abusé de ces dialogues avec les morts illustres dont le désaveu n’est plus à redouter. Cependant l’écrit auquel je viens d’emprunter ma citation se recommande par un sincère accent (de vérité ; sans afficher la prétention de reproduire les propres paroles du maître, l’auteur, qui a beaucoup vu, aimé, pratiqué Mendelssohn, vous donne ses pensées et l’esprit de ses conversations.

« Vous avez du talent, lui disait un jour Mendelssohn,. pourquoi n’écrivez-vous pas davantage ? » Et notre homme de répondre que s’il ne dit rien, c’est qu’il croit n’avoir rien à dire, que son silence tient beaucoup plus de la résignation que de la paresse, et qu’en dépit de ce talent qu’on se plaît à lui reconnaître il sent très bien que ses ouvrages, quand il les multiplierait par centaines, ne sauraient ouvrir à l’art une voie nouvelle. À ces mots, Mendelssohn réplique par une réfutation pleine de bon sens. « D’abord qu’entendez-vous par cette phrase : ouvrir à l’art des voies nouvelles ? Cela veut-il dire des voies où nul avant nous n’ait mis le pied, et qui nous vont conduire en des pays inconnus, enchantés ? Eh bien ! dès le début, je vous arrête, attendu qu’il ne saurait y avoir de voies nouvelles, par cette raison toute simple qu’il n’y a plus dans l’art de pays nouveaux à découvrir. Les voies nouvelles furent de tout temps l’écueil et la perdition des artistes qui les cherchèrent. En supposant qu’il en existe, qui les découvrira ? Probablement les plus grands génies. En ce cas, veuillez me dire si vous trouvez que Beethoven, ait ouvert une voie inconnue et dont Mozart ne se soit point douté ? Me direz-vous que ce sont des chemins entièrement vierges de toute humaine empreinte que ceux que nous font parcourir les symphonies de Beethoven ? je vous répondrai non, cent fois non ! Entre les premières symphonies de Beethoven et les dernières de Mozart j’ai beau chercher, je ne découvre aucun abîme, pas le moindre, cela se suit et s’enchaîne le plus naturellement du monde ; l’une me plaît, l’autre aussi. Que j’entende aujourd’hui la symphonie en ut mineur de Beethoven, et j’en serai charmé ; que j’entende demain celle en ré mineur de Mozart, et j’en éprouverai le même ravissement ; mais jamais l’idée ne m’est venue, ne me viendra, que Beethoven ait ouvert par là une voie nouvelle. Passons maintenant aux opéras. Qu’est-ce que Fidelio ? Je mentirais peut-être en vous disant que j’admire tout ce qui s’y trouve, ce qui n’empêche pas que je voudrais bien savoir comment vous vous y prendriez pour me citer une partition plus profondément émouvante. Mais, je vous le demande, avisez-vous là un seul morceau, un seul, qui vous ouvre une voie nouvelle ? Quant à moi, je n’en connais point. Que je lise ce chef-d’œuvre ou que je l’entende exécuter, j’y trouve partout et toujours le faire dramatique de Cherubini, non point que Beethoven ait imité servilement le style de l’auteur des Deux Journées, mais tout simplement parce que ce style lui plaisait et qu’il s’y adonnait