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cal le tableau-rapide de son drame. Je me suis proposé une tâche pareille. Il a tenté une réforme dans l’ouverture ; il y a mis plus de couleur, d’espace et de lumière, il a imaginé des périodes plus larges. J’ai fait de même ; mais ses périodes, comme les miennes, n’en demeurent au fond pas moins conformes à l’idée ordinaire que l’esprit humain se fait d’une période, et, si minutieusement que vous analysiez mon ouverture, vous n’y trouverez en somme aucun élément musical que Beethoven avant moi n’ait connu et employé… Pardon ! ajouta-t-il en souriant. Il y a l’ophycléide ; mais de bonne foi cela suffit-il pour qu’on se pose comme ayant ouvert à l’art des voies nouvelles ? Beethoven n’a composé comme il a composé que parce que les chefs-d’œuvre de Haydn et de Mozart rayonnaient sur son époque ; les idées politiques de son temps ne furent pour rien dans ses idées musicales. Quelles nouvelles la symphonie en fa et la symphonie en si nous donnent-elles de la révolution française ? Toutes les idées politiques du monde ne nous apprendront rien sur la manière d’employer le hautbois et la clarinette, les flûtes et les cors, d’inventer un thème et de le développer. C’est donc de l’étude des maîtres, de la lecture de leurs partitions, que se dégagent les maximes d’après lesquelles chacun ensuite procède à sa guise et selon la puissance de son génie. Le compositeur n’a rien à démêler avec les idées politiques d’aucun temps ; sa grande et unique affaire à lui, c’est le cœur humain. L’artiste est objectif, il est universel ; il doit savoir avec une égale vérité, une égale inspiration, peindre tous les états de l’âme, tous les sentimens : aujourd’hui la Symphonie héroïque, demain la Symphonie pastorale ; aujourd’hui Hamlet, demain le Songe d’une Nuit d’été ; aujourd’hui Idoménée ou Don Juan, demain les Noces de Figaro ou Cosi fan tutte. S’il interroge le monde et la politique, s’il obéit aux divers points de vue de son temps, il abdique sa liberté, cesse d’être créateur, devient esclave. L’artiste, par ses inspirations, échappe à cette vie grossière, aux intérêts qui s’y débattent, et se réfugie au pur et divin royaume de l’idéal. Supposons un compositeur que la politique passionne ; il lui arrive de mettre en musique une scène d’amour. Quelle réaction l’atmosphère du dehors va-t-elle exercer sur lui à cette heure ? Sera-t-il aristocrate ou démocrate ? évoquera-t-il, pour nous rendre ce riant tableau de grâce et d’innocence, les trésors de haine dont la politique aura dû préventivement gonfler son âme ? Tâchons, au moment où nous écrivons, d’être ce que nous voulons représenter ; soyons cela, et point autre chose. Il se peut que dans telle circonstance notre sujet concorde avec notre manière de voir, il se peut aussi qu’il en diffère. On a beaucoup reproché à Goethe son aristocratie. Admettons que cela fût, je n’en trouve pas trace dans Egmont, où son cœur paraît au contraire ne battre que pour la liberté des peuples. Quelle opinion représentent en politique Iphigénie en Tauride, le Tasse, les Affinités électives ! Supposez à Goethe les convictions que vous voudrez : ce qu’il y a de certain, c’est que ses convictions n’ont