Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/23

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

montrerai. » Abraham laissa là la Chaldée, la ville de confusion, les champs de Sennaar, où la tour d’orgueil s’élevait jusqu’au ciel ; il marcha où le conduisait la voix de Dieu. Marie aussi, quand elle sentit que son sein était le temple du Seigneur, abandonna la plaine pour aller vers les hauts lieux.

« Plus cette terre montueuse qui nous rapproche du ciel est étrangère aux délices du monde, plus elle est précieuse à nos âmes. Jérusalem porte dans l’histoire un triple nom : Jébus, Salem, et Jérusalem ; le premier signifie foulé, le second paix, et le troisième vision de la paix. C’est ainsi qu’après avoir longtemps marché, nous pouvons atteindre le but et être admis à la vision de la quiétude éternelle. Jérusalem a vu naître Salomon le Pacifique ; David et sa race l’ont gouvernée, et plus la Judée l’emporte pour des cœurs chrétiens sur les autres provinces de l’empire, plus cette ville l’emporte sur toute la Judée. Elle fut, dit-on, la demeure et le tombeau d’Adam, notre premier père ; elle fut le lieu de la mort du Christ : sa sainte montagne s’appelle Calvaire, c’est-à-dire crâne, parce qu’elle recouvrait le crâne du vieil homme, afin que le second Adam, par le sang divin qui découla de sa croix, effaçât le péché du premier. »

C’était en effet, comme nous l’avons dit dans un récit précédent, une tradition orientale, que le père des hommes, mort à Jérusalem, avait été enterré au Golgotha, sous le roc qui devait recevoir, au temps marqué par les prophéties, la croix du Sauveur. La tradition ajoutait qu’au moment où le Christ expira, où le jour se voilà, où la terre tressaillit jusque dans ses fondemens, Adam sortit de son sépulcre pour n’y plus rentrer. En mémoire de ce fait traditionnel, les Orientaux, dans les représentations de la mort de Jésus, plaçaient toujours un crâne au pied de la croix. Cette tradition d’une si haute poésie avait frappé sans doute les deux amies de Marcella durant leur visite au saint sépulcre, et l’image du père des hommes, s’élevant du pied de la croix pour y recevoir la rosée sanglante de l’expiation par les souffrances du juste, complétait magnifiquement à leurs yeux les grandes scènes de la rédemption.

Abordant le double caractère de Jérusalem, cité bénie et cité maudite, les correspondantes de Marcella cherchent à combattre dans l’esprit de leur amie l’impression qu’avaient pu y laisser des bavardages inconsidérés ou malveillans. Marcella avait écrit, à ce qu’il paraît, qu’elle ne pourrait jamais habiter Jérusalem, que le seul aspect de la ville déicide, de la terre qui avait bu le sang du Sauveur, lui serait insupportable.

« Que fais-tu donc à Rome ? lui répondent-elles. Rome n’a-t-elle pas reçu le sang de Pierre et de Paul, ces généraux de l’armée du Christ ? Si la confession d’un homme, d’un esclave même, est